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LA MISÈRE EN AMÉRIQUE

sont échangés, touchants à force d’être humbles, mais toujours enveloppés avec grande recherche. Le cadeau est dans la surprise du premier aspect.


Il ne me déplaît pas d’être totalement pauvre, puisque l’argent, je ne pourrais en avoir que par une compromission quelconque. Mais nous sommes souvent lasses de n’avoir jamais que juste assez de nourriture pour ne pas mourir, jamais assez pour apaiser notre faim.


Ce qui me fâche, c’est que le besoin de manger ne prend pas seulement mes forces, il attache mon esprit, mon imagination. C’est une obsession morale autant que physique.


Je ne dors guère. Toutes les nuits, assise sur mon lit, je réfléchis au moyen de me libérer. J’imagine conduire ma vie comme une voiture au milieu d’une jungle inextricable. En vérité je parviens seulement à ne pas verser.


Je vis tout cela dans le demi-sommeil étrange qui naît d’un estomac à peu près vide. J’ai pris l’habitude de cette pesanteur à la nuque, de ce voile sur les yeux, de cette raideur des muscles du cou soutenant une tête soudain trop lourde, prête à rouler sur sa base.


Nuit atroce. Ma force ne me permet plus de souffrir impunément. Mes nerfs restent exaspérés. J’assiste à ma misère toute la nuit.