Page:Leblanc - La Vie extravagante de Balthazar, paru dans Le Journal, 1924-1925.djvu/51

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tranche rien de mes convictions. Sur le moment de mourir, la philosophie quotidienne m’apparaît, au contraire, comme la meilleure des doctrines. À force de pratiquer, on s’adapte immédiatement aux pires circonstances, on ne voit en elles que ce qu’elles contiennent de réalité banale et courante, et l’on évite ainsi de les grossir à la taille d’aventures extraordinaires. Il n’y a pas d’aventures, Coloquinte. Il n’y en a pas pour quiconque demeure en équilibre. L’aventure, ce serait de mettre l’anneau d’or à son doigt et de se soumettre à la belle Hadidgé. Je ne le ferai point. »

Tous ces discours n’avaient pas beaucoup de sens. Mais il n’est pas besoin que nos paroles soient raisonnables pour nous apporter le secours de la raison et le calme de la sagesse. La musique avait cessé. Balthazar s’endormit.

Il fut réveillé par les aiguilles de cactus plantées au menton du pacha. Jamais père et fils ne s’embrassèrent avec plus de foi et de simplicité. L’étreinte de Balthazar fut telle qu’elle l’eût été s’il avait eu derrière lui vingt ans de piété filiale et de tendresse.

Les guerriers les couchèrent sur des brancards. On franchit le pont-levis et on traversa la plaine onduleuse. Ils furent assis au pied des poteaux, devant un trou fraîchement creusé qui devait recevoir leurs cadavres. Ils refusèrent d’être attachés.

Le seigneur ficha son épée en terre et posa l’anneau d’or sur le pommeau, tout près de Balthazar. Celui-ci sourit dédaigneusement. L’âme de son père et de ses aïeux passait vraiment en lui, et le haussait au rang d’un prince héritier qui ne transige pas, quand l’honneur de la race est en jeu.

Le jour se levant, les montagnes surgissaient de l’ombre et leurs cimes se couronnaient de lumière rose. Les deux escouades en jupons firent des manœuvres savantes pour que l’alignement s’opérât selon les règles. Mais l’irruption de la Catarina dérangea un peu l’ordre de la cérémonie et troubla le magnifique silence. Les deux époux avaient encore quelques injures effroyables à se jeter. Dans un admirable sursaut d’énergie, le pacha sortit vainqueur de ce tournoi suprême. En revanche de quoi la Catarina donna le signal de l’exécution.

Les choses se passèrent très dignement. Le pacha réussit à s’équilibrer sur ses jambes meurtries, et le prince héritier dressa son chapeau haut de forme et son pardessus moutarde. Leurs mains se joignirent.

« Je meurs sans regrets, puisque c’est pour la bonne cause », songea Balthazar.

Peut-être eût-il été content de savoir quelle était cette bonne cause à quoi il se dévouait. Mais aucune chance ne lui restait de l’apprendre. Il se résigna. Par la grâce d’une nature infiniment sensible et par la pureté de son cœur, ce jeune homme malingre et peureux se tenait, devant la mort, avec la vertu d’un stoïcien.

Il vit, sur la terrasse du château, Hadidgé qui se traînait à genoux. Non loin de lui, la Catarina le regardait et jouait avec l’anneau d’or.

Il baissa les paupières, aperçut en lui-même les yeux éperdus de Coloquinte, chercha quel conseil la philosophie quotidienne pourrait bien lui adresser, et, ne trouvant pas, pria Dieu.