Page:Leblanc - La Vie extravagante de Balthazar, paru dans Le Journal, 1924-1925.djvu/64

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des poètes, comme un homme affligé de quelques défauts, mais d’une hauteur d’âme incomparable. Et c’était lui, son fils, qui l’avait tué !

Coloquinte tâchait de le consoler, mais que dire à un homme qui a tué son père et que les remords accablent ?

— J’ai tué mon père… je suis un parricide… un parricide.

Et il évoquait des choses redoutables : la cour d’assises, le verdict, l’échafaud.

Ils s’endormirent sur un banc. Balthazar appuyait contre l’épaule de Coloquinte sa perruque aux petits cheveux frisés. Un agent examina ce mousquetaire assoupi dans les bras de cette marchande de frivolités et s’en alla.

Aux premières blancheurs de l’aube, ils cheminaient non loin des Baraques, où ils devaient prendre quelques affaires avant que la police fût avertie du crime. Balthazar ne songeait plus à se livrer.

Ils arrivèrent. À cette heure personne encore n’était levé. Cependant ils aperçurent, en dehors des cahutes de l’enceinte, une automobile, et en s’approchant ils distinguèrent un homme qui s’y engouffrait sans les avoir vus. Il avait un maillot et un pourpoint. Il semblait très agité. C’était Beaumesnil, dans son costume de la Renaissance.

— À Saint-Cloud, vivement, ordonna-t-il à son chauffeur.

Ils eurent d’abord cette même idée qu’ils étaient le jouet d’une hallucination, ou bien qu’un fantôme avait passé devant leurs yeux effarés. Mais le son de la voix frappait encore leurs oreilles, et Balthazar chuchota :

— Il est vivant… Je ne l’ai pas tué… Mon Dieu, mon Dieu ! voilà qu’il est vivant !…

Il n’y eut pour ainsi dire aucune transition entre son désespoir et l’excès d’une joie subitement frénétique. Il éclata de rire, et, chose incroyable de sa part, esquissa un pas de danse, en ricanant :

— Il vit ! Plus de prison ! Plus d’échafaud ! Beaumesnil n’est pas mort !

Le visage soucieux de Coloquinte interrompit son délire. Il lui demanda :

— Qu’est-ce que tu as ? Tu n’es pas contente ? Voyons, réfléchis… Beaumesnil n’est pas mort… je croyais l’avoir tué… et je ne l’ai pas tué… Qu’y a-t-il donc, ma petite Coloquinte ?

Elle articula lentement :

— M.  Beaumesnil est un voleur.

— Diable ! dit-il, un voleur ? Et pourquoi ?

— Il a volé le portefeuille… l’héritage du comte de Coucy-Vendôme.

— Qu’est-ce que tu chantes là, Coloquinte ? Il connaissait donc l’existence de cet héritage ?

— J’avais été obligée de tout lui dire pour vous sauver, il y a un mois. C’est avec une partie de cet argent que nous avons pu louer un bateau, trouver des concours, acheter le chef et les soldats qui devaient vous fusiller…