Page:Leblanc - La Vie extravagante de Balthazar, paru dans Le Journal, 1924-1925.djvu/67

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Jamais aucun événement ne devait enseigner à Balthazar le sens du comique et de l’ironie. Il prononça ces paroles avec fierté, et se tourna pour constater l’effet qu’elles produisaient sur Coloquinte. Il fut très étonné de voir des larmes dans les yeux de la jeune fille.

— Qu’est-ce que tu as donc ? dit-il, tu pleures comme si tu étais malheureuse, Coloquinte.

— Je suis cependant très heureuse, dit-elle en s’efforçant de rire.

— Alors, pourquoi pleures-tu ?

— Est-ce qu’on sait ? Les larmes, ça coule tout seul.

— Tu as raison, fit Balthazar, au bout d’un moment. Moi aussi, j’ai envie de pleurer, et cependant jamais je n’ai ressenti tant de félicité.

Sur le pont du bateau, ils se tinrent par la main. Les passagers regardaient beaucoup Coloquinte, et Balthazar entendit l’un d’eux qui exaltait la grâce de la jeune fille et la douceur charmante de son visage. Il remercia ce passager d’un signe de tête, comme si on lui eût adressé un compliment personnel, et il pensa que Coloquinte s’accorderait certainement avec la magnifique Yolande.

Le métro les remonta jusqu’à la cité des Baraques. Ils n’étaient pas arrivés aux Danaïdes que la voisine qui gardait M. Vaillant du Four vint les chercher en toute hâte. Le malade n’allait pas bien.

Coloquinte courut à la recherche d’un docteur. Le diagnostic fut excellent. Le docteur parla de traumatisme et de troubles cardiaques sans importance. Tout s’arrangeait.

Mais le soir, M. Vaillant du Four rappela Balthazar et Coloquinte. Cela ne s’arrangeait nullement. Le malade étouffait.

Il enjoignit à Coloquinte de lui donner un flacon, qui se trouvait au milieu des médicaments rapportés de la pharmacie, et il en vida une bonne moitié.

Balthazar prit le flacon et s’indigna : c’était du rhum.

— Je sais ce que je fais, dit M. Vaillant du Four. Ce médecin est un âne. Outre le coup à la mâchoire, j’en ai reçu un dans la poitrine qui m’a démoli. Je suis réglé. Un jour à vivre, tout au plus. Or, il faut que je te parle sérieusement, mon garçon, et j’ai la tête trop vide pour rassembler mes idées, si je n’y verse pas, au préalable, une mesure d’alcool.