Page:Leblanc - La Vie extravagante de Balthazar, paru dans Le Journal, 1924-1925.djvu/68

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— C’est de la folie !

— C’est la sagesse même. Maintenant, j’y vois clair et je pense clair. Écoute-moi, mon garçon.

Il s’exprimait avec l’application de l’ivrogne qui se cramponne à ses idées. Le moindre choc en eût brisé le fil ténu. Il jeta un coup d’œil autour de lui.

— Nous sommes seuls ?

— Oui, avec Coloquinte.

— Personne à la porte ?

— Personne.

— Approche-toi… Plus près…

— Monsieur Vaillant du Four, vous feriez mieux de vous reposer.

— Fiche-moi la paix, mon garçon. J’ai un secret qui me pèse sur la conscience, et, avant de mourir…

— Mais il n’est pas question de mourir.

— Si. Écoute-moi. Tu m’entends bien ?

— Oui.

— Toi aussi, Coloquinte ?

— Oui, monsieur Vaillant du Four.

— Eh bien, voilà, Balthazar, voilà qui se résume en quatre mots. Tu m’entends bien ?

— Très bien.

— Je suis ton père, Balthazar.

Balthazar se leva. Il était tout rouge. Un afflux de sang empourprait sa pâle figure et son vaste front.

— Ouvre le tiroir de cette table, ordonna M.  Vaillant du Four.

— Pourquoi ? dit-il, exaspéré.

— Tu y trouveras la photographie de ta mère.

Balthazar renversa la table et en brisa les pieds.

— La photographie ? Mais j’en ai plein mes poches, de photographies. Tenez, en voici une, et puis une autre, et puis celle de la Catarina, qui a été pendue, et celle de la reine, qui est folle ! Qu’est-ce que vous voulez que ça me fasse, toutes vos balivernes ?

— Ta mère s’appelait Gertrude Dufour, déclara M.  Vaillant du Four, qui poursuivait son monologue. Et moi, ton père, mon véritable nom est Vaillant…

Balthazar se contint. Il retourna près du lit et articula nettement, de manière que le moribond ne pût se dérober :

— Vous êtes la cinquième personne, monsieur, dont je serais le fils. Avant vous, il y a eu…

— Gourneuve, l’assassin ; et puis le comte de Coucy… oui, je les connais tous… dit M.  Vaillant du Four. Mais c’est par moi qu’ils t’ont retrouvé… C’est moi qui les ai prévenus que tu portais au cou la marque des trois…