Page:Leblanc - La Vie extravagante de Balthazar, paru dans Le Journal, 1924-1925.djvu/73

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Il réfléchit, et répéta d’un ton mélancolique :

— Hein ! je te l’avais dit ! Seulement, au lieu d’un feuilletoniste, c’était un vieil ivrogne qui tirait les ficelles et qui les agitait, et les embrouillait au hasard de ses ivresses. Tandis que j’offrais mon cœur à tout le monde, que je m’éprenais d’une demi-douzaine de pères et de mères, que je me laissais torturer et fusiller, dans la coulisse l’ivrogne se divertissait. Tout cela n’est pas bien gai, ma pauvre Coloquinte. La mort de M. Vaillant du Four, le cabotinage de Beaumesnil, la Catarina, le pacha, Gourneuve, que de souvenirs !

Il découvrit d’un coup d’œil ce qu’il appelait le tourbillon de péripéties incohérentes, et le spectacle l’en impressionnait.

— La somnambule avait raison, Coloquinte, disait-il en ricanant. Un père sans tête, voilà ce qu’elle m’annonçait. Et la série des bonshommes a passé tout entière. Je peux choisir dans le tas. Car, enfin, Coloquinte, crois-tu que Beaumesnil le fou, Beaumesnil le poète voleur, crois-tu qu’il ait sa tête à lui ? Et cet ivrogne de Vaillant du Four, n’avait-il pas perdu la tête, lui aussi ?

Coloquinte fut désespérée de le voir assailli par de si funèbres visions. Ne sachant que faire pour les dissiper, elle crut qu’une caresse ne lui serait peut-être pas désagréable. Elle l’enveloppa donc de ses deux bras, et lui baisa la bouche longuement.



XII

« Regarde d’abord auprès de toi »


Balthazar fut extrêmement sensible au procédé de Coloquinte. Il n’en sut rien, d’ailleurs. Quoi qu’il y pensât beaucoup durant les jours qui suivirent, il ignorait d’où lui venaient, au milieu de circonstances aussi pénibles, tant de satisfaction profonde et d’allégresse soudaine. Il accompagna M. Vaillant du Four à sa dernière demeure, sans plus de peine que si le défunt n’avait pas été un de ceux qui se disputaient son cœur. La tête en l’air, il admirait la forme des nuages ou les balcons fleuris de capucines, et laissait à Fridolin, qui marchait près de lui, le soin de verser des larmes.