Page:Leblanc - La Vie extravagante de Balthazar, paru dans Le Journal, 1924-1925.djvu/76

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que pouvait penser la jeune fille. Son âme lui paraissait tout à coup secrète et obscure. Il remarqua soudain, avec surprise, qu’elle n’avait plus ses boucles blondes et que, de nouveau, deux nattes tressées dur pointaient sans coquetterie, à droite et à gauche de son visage. Elle lui parut jolie, d’ailleurs, et il rougit en regardant ses lèvres. Il vit qu’elle rougissait également.

— Mon dieu ! dit-il, comme tu es changée, Coloquinte ! Pour moi, ton visage d’aujourd’hui et celui d’autrefois ne concordent plus.

Elle n’avait pas changé, mais nous sommes toujours prêts, lorsque la vie nous a modifiés, à voir chez les autres les effets de notre transformation.

À l’entrée du square des Batignolles, l’heure du rendez-vous lui laissant quelques minutes de répit, il s’assit.

Coloquinte tira de sa serviette un gâteau feuilleté qu’il aimait, et cette attention lui rappela combien elle était délicate et serviable.

— Je suis sûr, dit-il, que Yolande aura pour toi une grande sympathie, et que vous vous entendrez à merveille.

Cette perspective lui était agréable. Comme ils traversaient le jardin, il eut un accès de lyrisme et dénombra toutes les joies auxquelles ils participeraient l’un et l’autre. Il y aurait ceci, et puis cela, et cela encore… On eût dit que Coloquinte devait même participer à l’orgueil de porter un nom aussi retentissant que celui de Coucy-Vendôme.

— Ce sont deux familles illustres, Coloquinte, deux courants de haute noblesse qui se sont rejoints pour former un fleuve qui…

Balthazar n’acheva pas cette phrase mal commencée et laborieuse. D’ailleurs, Coloquinte ne le soutenait pas dans son approbation, comme d’ordinaire.

Il en fut blessé et dit :

— Qu’est-ce que tu as donc, aujourd’hui ?

— Rien, je vous assure.

— Tu as quelque chose… Le son de ta voix n’est plus le même… On croirait que tu pleures… Mais, oui, voilà que tu pleures, comme l’autre jour…