Page:Leblanc - Le Cercle rouge, paru dans Le Journal, 1916-1917.djvu/115

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gardant le groupe formé par les trois hommes. Quelques mots de leur conversation étaient venus jusqu’à elle et elle avait tressailli de plaisir aux réponses fières et hautaines de Max Lamar. Elle ne pouvait s’empêcher d’admirer la tête énergique, franche et intelligente de celui-ci et l’élégance vigoureuse de sa stature, que faisait ressortir son vêtement de soirée, d’un goût parfait et simple, aussi éloigné de la vulgarité de Ted Drew que de l’afféterie de Chertek.

— Excusez-moi, messieurs, dit Lamar, dont le visage s’anima soudain lorsqu’il vit la jeune fille. J’aperçois Mlle Travis et je vais aller la saluer.

Quittant ses interlocuteurs, il traversa le salon et vint s’incliner devant Florence et devant Mme Travis.

Mary, demeurée en arrière, ne put, cette fois encore, retenir un geste d’inquiétude en voyant Max Lamar rejoindre Florence. Il semblait à la pauvre femme qu’une fatalité mauvaise s’acharnait à les réunir et à susciter ainsi de nouveaux périls pour la jeune fille.

Au moment où Max Lamar saluait Florence Travis, une jeune femme apparut à la porte du petit salon — une jeune femme de vingt-six à vingt-sept ans, assez jolie, mais surtout provocante, aux cheveux noirs et au teint bistré sous le fard qui blanchissait ses joues, avivait ses yeux sombres, rougissait ses lèvres minces. Un corsage de velours noir emprisonnait sa taille souple, et, très décolletée, faisait valoir la matité de ses épaules nues, sur lesquelles deux simples fils de jais le retenaient.

C’était Clara Skimer qui venait « travailler » au bal de l’hôtel Surfton.

Du premier coup d’œil qu’elle jeta dans le petit salon, Clara aperçut Lamar. Aussitôt elle se rejeta en arrière et gagna une pièce voisine. Elle paraissait chercher quelqu’un, mais observait une allure indifférente et presque nonchalante qui contrastait avec l’apparence d’audace et de décision qui était comme la caractéristique de toute sa personne et lui donnait quelque chose d’inquiétant et de menaçant.

Soudain, elle fit halte. Non loin d’elle un jeune, homme roux, vêtu d’un habit correct, et appuyé aux chambranles d’une porte, regardait les danseurs du grand salon passer et repasser avec une attention qui, pour être dissimulée, n’en était pas moins vive.

Clara Skimer eut une toux légère. Le jeune homme roux tourna la tête, vit la jeune femme, la regarda un moment et, tout en la regardant, mit en évidence sa main au petit doigt de laquelle il y avait une bague composée d’un simple anneau de corail rouge. Clara Skimer, aussitôt, portant la main à sa coiffure comme pour arranger une boucle défaite, laissa voir à son annulaire une semblable bague.

Le jeune homme s’approcha et la salua.

— Voulez-vous me permettre, madame, de vous inviter pour cette valse, dit-il avec courtoisie. Et il ajouta plus bas, très gravement : à moins que vos souliers de bal ne vous gênent pour danser ?

Cette question singulière, qu’il est assez peu d’usage de formuler en même temps qu’une invitation pour une valse, n’étonna point Clara.

— J’ai un si bon cordonnier, que j’ignore cette sorte de gêne, répondit-elle à mi-voix, en appuyant sur les mots.

Elle lui tendit le bras, il lui enlaça la taille et, sûrs l’un et l’autre de ne pas se tromper, ils partirent ensemble.