Page:Leblanc - Le Cercle rouge, paru dans Le Journal, 1916-1917.djvu/13

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bien surpris… Enfin, je vais donner l’ordre qu’on l’amène ici.

Le directeur sonna. Un gardien parut, auquel il donna ses instructions et qui s’éloigna vers l’intérieur de l’asile.

Dans le quartier réservé aux internés les plus dangereux, Jim se tenait debout au bord de sa cellule. On eût dit une bête fauve captive ; de la bête fauve il avait l’apathie taciturne, l’aspect farouche, résigné et redoutable.

À travers les barreaux de la lourde grille qui l’enfermait, il avait passé son bras droit, et sa main pesante pendait en dehors. Ses yeux fixes regardaient droit devant lui, sans paraître rien voir, et il restait là sans bouger, comme une sombre image de révolte impuissante et de désespoir égaré.

Pensait-il ? Des souvenirs traversaient-ils son cerveau ? Regardait-il le passé, le présent ou l’avenir ?… Il demeurait immobile et, en apparence, presque hébété.

Soudain, sur sa main droite, une marque se dessina, un stigmate circulaire, rose d’abord, puis plus foncé et qui devint comme une couronne écarlate, irrégulière : le Cercle Rouge. Jim Barden entrait en fureur.

Il éleva sa main jusque devant ses yeux, regarda le stigmate mystérieux et eut un sourd ricanement de fou. Un pas retentit. Jim baissa la main. Le gardien parut, portant un paquet de vêtements. Il ouvrit la porte et les jeta au prisonnier.

— Habille-toi, ordonna-t-il. Tu vas me suivre chez le directeur et on te mettra en liberté.

Et il reprit :

— Mais oui, vieux Jim, en liberté. Voilà ce que c’est que d’être raisonnable. Depuis quelques mois, il n’y a rien à dire, tu es sage ! J’ai remarqué que ça date du jour où je t’ai trouvé ici, par terre, pleurant comme un enfant… Ça t’a calmé. Depuis, pas de crise. Alors on te donne la clé des champs…

Sans un mot, sans un signe de surprise, d’émotion ou de joie, sans jeter un dernier regard sur sa cellule, Jim, quand il eut revêtu ses anciens habits, un complet gris abîmé et fripé, suivit le gardien chez le directeur.

— Eh bien Jim Barden, vous voilà libre, lui dit celui-ci qui voulait être cordial avec son pensionnaire, pour faire plaisir à Florence Travis. Je pense que vous nous récompenserez de notre bienveillante décision en faisant tout ce qui sera en votre pouvoir pour vous en montrer digne, en devenant un bon sujet… Du reste, voici deux dames charitables qui ont la bonté de s’intéresser à vous et qui veulent bien vous venir en aide.

Jim Barden, à son entrée dans le bureau de M. Miller, avait jeté un regard sur Florence et sa mère, mais, au geste du directeur, il ne tourna pas la tête vers elles.

— Je ne demande rien, dit-il seulement d’une voix dure.

Florence se leva et fit deux pas vers lui.

— Nous le savons que vous ne demandez rien, dit-elle doucement, mais nous serions très heureuses de pouvoir vous aider.

— Oui, intervint avec bonté Mme Travis, vous allez vous trouver sans domicile, sans argent…

— C’est mon affaire, interrompit brutalement Barden. Je n’ai besoin de personne. On m’a mis en cage, mais ce n’est pas une raison pour qu’on vienne me voir comme une bête curieuse.

Il enfonça son chapeau sur sa tête et fit un mouvement vers la porte mais Florence, s’élançant vers lui, mit sa main blanche et fine sur sa manche grossière.

— Non, non, ne partez pas ainsi ! Je comprends bien… Vous avez tant souffert… Mais ne croyez pas que c’est une banale curiosité qui nous amène ici… Je veux que vous redeveniez un honnête homme, un homme heureux… Il n’est pas trop tard… Sans doute vous n’êtes pas seul au monde ?… Vous avez une famille ?… une femme ?

Un tressaillement secoua les lourdes épaules de l’homme. Une crispation douloureuse passa sur son visage.

— Ma femme, il y a vingt ans qu’elle est morte, dit-il sourdement.

— Oh ! je vous demande pardon… je vous ai fait de la peine… murmura la jeune fille, émue par cette lueur d’émotion sur ce visage farouche. Mais si votre femme est morte, peut-être avez-vous des enfants qu’il vous faut protéger, diriger dans la vie, qui vous aimeront et vous soutiendront dans votre vieillesse… Une fille ?… Un fils ?…

— Un fils… répéta Jim à voix basse, avec une expression d’amertume.