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Aux pieds du vieux Barden était une ouverture béante, où l’on apercevait les premiers échelons d’une échelle vermoulue qui plongeait dans l’ombre d’une sorte de puits.

Jim, sans mot dire, montra du doigt l’ouverture à son fils. Bob eut un mouvement de recul.

— Faut aller là-dedans ? À quoi que ça sert ? protesta-t-il. Puisqu’on les a semés, il n’y a qu’à filer… Et chacun de notre côté, acheva-t-il avec un désir évident de mettre le plus d’espace possible entre lui et un père qu’il avait les plus justes motifs de redouter.

Mais, déjà, le vieux, d’une étreinte irrésistible, le poussait vers la trappe. Bob, rechignant, dut descendre dans le trou noir. Jim le suivit, refermant après lui la trappe qu’il soutenait de la main et qui, au-dessus de sa tête, descendit progressivement et s’encastra au milieu de débris. Le tas de bois avait repris son aspect où l’œil le plus scrutateur n’eût rien pu découvrir d’anormal.

— Ah ! ben ça, c’est vraiment épatant ! s’exclama avec une extase d’admiration une voix enfantine.

C’était le petit garçon qui, tout à l’heure, du haut de l’appentis en ruines, avait assisté à la survenue des deux fugitifs, incident qui, on le sait, l’avait prodigieusement intéressé.

Il avait profité du moment où ils s’étaient dissimulés derrière les tonneaux pour descendre furtivement de son perchoir et s’approcher d’eux à leur insu, se faufilant, silencieux sur ses petits pieds nus, de cachette en cachette, de recoin en recoin, avec une adresse d’Indien, dans le terrain qu’il considérait comme son domaine privé, ayant coutume d’y passer la majeure partie de ses journées.

Ce qu’il venait de voir l’avait stupéfié et enthousiasmé. Il y avait dans son terrain une trappe qu’il ne connaissait pas ! Cette trappe avalait des hommes et se refermait ensuite, en faisant semblant d’être un tas de bois ! Il n’avait jamais assisté à un événement d’un mystère aussi passionnant.

Les mains dans les poches de sa culotte trouée, sa tête ébouriffée penchée sur sa poitrine, que couvrait mal son vêtement en loques, il restait planté au bord du tas de bois, qu’il regardait avec une ardente curiosité.

Brusquement, il se décida, s’agenouilla, farfouilla avec activité parmi les bouts de planches, et, trouvant le morceau de fer rouillé, essaya d’ouvrir la trappe. Mais il eut beau raidir ses faibles bras, il n’arriva pas à l’ébranler.

Haletant et déçu, le gamin se releva, en se disant qu’une aide quelconque lui était nécessaire. À ce moment, il entendit un pas dans l’allée déserte. Il se précipita vers la palissade, se faufila comme un chat par un trou des planches et aborda le passant.

— M’sieur ! M’sieur ! arrêtez un peu ! J’ai quelque chose à vous dire !… Tiens, c’est vous, m’sieur le docteur Lamar !…

Max Lamar, après sa poursuite vaine, revenait lentement sur ses pas, mécontent d’avoir perdu la piste de Jim Barden. Il avait vu celui-ci pousser son fils dans l’allée, qu’il avait, une minute plus tard, parcourue lui-même avec les deux policemen. Mais, parvenu à son extrémité, il n’avait plus trouvé la moindre trace des fugitifs. Après quelques recherches infructueuses, il avait quitté les deux agents en leur recommandant de surveiller étroitement les alentours et il refaisait, en sens inverse, le chemin de la poursuite lorsque le gamin l’avait abordé.

— Je vous connais bien, m’sieur Lamar, continua celui-ci. C’est vous qu’avez soigné, à l’asile, ma tante Deborah, quand elle a eu son attaque… Moi, je suis Johnny Mac Quaid… Papa est balayeur, et il habite là…

Son doigt tendu indiquait une pauvre masure à laquelle était adossé l’appentis.

— Alors, j’ai quelque chose à vous montrer, m’sieur Lamar, reprit l’enfant, d’un air important. Quelque chose de pas ordinaire. Venez par ici. C’est dans le terrain. Pour entrer, il n’y a qu’à tirer le coin de la palissade. Ça s’ouvre tout seul. C’est truqué, sûr et certain.

L’intérêt de Max Lamar fut à l’instant très vivement éveillé, et il suivit Johnny, qui l’amena devant le tas de bois et lui expliqua ce qu’il avait vu.

Remerciant le hasard qui lui venait en aide, le jeune homme s’assura de l’existence de la trappe en la soulevant légèrement. Il la laissa tomber et se mit à réfléchir.

Au bout d’un moment, il tira son portefeuille de sa poche et y prit une de ses cartes de visite, sur laquelle il griffonna rapidement quelques mots au crayon.

Alors, se retournant vers Johnny :

— Attention, mon garçon ! Je te charge d’une mission importante : tu vas courir remettre cette carte au premier policeman que tu rencontreras. Tu as compris ? Surtout, dépêche-toi !

— J’y file, m’sieur Lamar !

Celui-ci prit dans sa poche quelques pièces de monnaie, et, en même temps que la carte, les remit au gamin.

Johnny détala à toute vitesse.

Resté seul, Max Lamar piétina sur place pendant quelques instants avec une impatience grandissante.

L’attente l’irritait. Jim Barden, dont il venait, par une chance inespérée, de retrouver la trace, n’allait-il pas, durant ce délai, lui échapper une fois encore ?

Deux fois il alla jusqu’à l’allée, voir si rien ne venait.

Enfin, n’y tenant plus, il revint à la trappe, l’ouvrit, et, résolument, s’engagea seul dans le trou noir.