Page:Leblanc - Le Cercle rouge, paru dans Le Journal, 1916-1917.djvu/204

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vous l’entendre dire… Mais si vous savez, votre conscience ne vous dit-elle donc pas que je ne suis pas responsable de cette impulsivité qu’un atavisme effroyable a mise en moi ?… Est-ce ma faute, si le Cercle Rouge, cette tare implacable, remonte sur ma main à des heures maudites et lance toutes les forces de mon être vers des buts de folie ? Et croyez-vous que je n’aie jamais cherché à résister ? Ah ! si vous connaissiez les combats qui se livraient en moi chaque fois que je me sentais sous la puissance de l’impulsion héréditaire…

Florence s’animait de plus en plus, et Max Lamar, silencieux, maintenant écoutait.

— Et qui sait même, poursuivit-elle, si ce n’est pas grâce à ces luttes intérieures que je suis arrivée à diriger vers le bien cette influence qui, chez d’autres, avait été si redoutable, si criminelle. Car, maintenant que vous connaissez mon secret, je puis bien vous le dire, si vous ne vous en êtes déjà rendu compte, tout ce qu’a fait cette main maudite, marquée du Cercle Rouge, a été inspiré par le désir de venir en aide aux malheureux et de châtier les crimes que la loi n’atteint pas… Les moyens que j’employais étaient condamnables ; c’était la revanche de l’esprit maudit qui était en moi… Mais, aurais-je réussi avec d’autres moyens ? Rappelez-vous Bauman, enrichi de la misère de tout un quartier, et à qui j’ai arraché quelques victimes. Rappelez-vous Ted Drew, prêt à vendre à l’étranger le secret peut-être des victoires futures. Rappelez-vous, enfin, ce misérable Silas Farwell, plus lâche, plus cupide, plus fourbe encore que les autres, et sa victime à qui je me suis intéressée, parce que Gordon vous avait sauvé la vie, à vous… à vous…

Sa voix se brisa dans les larmes, mais elle fit un effort, un suprême effort, dompta son émotion, et reprit avec plus d’assurance :

— Écoutez-moi encore. J’ai commencé maintenant et je dois aller jusqu’au bout. Il me faut tout vous dire…

Elle parut se recueillir et reprit d’une voix affermie :

— Une pensée me soutenait dans ces entreprises hasardeuses… et me rendait plus forte. Cette pensée, c’était la vôtre… Vous m’entendez bien, Max ? la vôtre ! Vous m’avez dit tout à l’heure que vous m’aimiez. Or, moi aussi je vous aime, je vous aime de toute mon âme, avec le meilleur de moi-même. Dans ma pensée, vous êtes présent, toujours présent, et chaque fois que j’agis, je me dis : « Comment, s’il savait, me jugerait-il ? Eh bien, je vous le jure, c’est votre pensée constante dans ma pensée qui bien souvent m’a permis de faire certains actes de justice que la Justice n’eût pas pu entreprendre. Vous-même vous eussiez été empêché de les accomplir par ce soin constant de la légalité qui vous domine… qui vous domine justement, et qu’on ne doit jamais transgresser… mes souffrances, ma vie maintenant brisée, me l’ont appris cruellement… Mais n’est-ce pas, par exemple, parce que vous ne pouviez sauver Gordon que j’ai entrepris, moi, de le sauver ?

Max Lamar, sombre et absorbé, écoutait, mais il ne répondait pas.

— Et je suis bien sûre, continua Florence, qu’à certaines heures, alors que vos soupçons à mon endroit se développaient, se précisaient, s’affirmaient, je suis bien sûre que vous deviez vous dire : « Si c’est elle qui s’est rendue coupable de ces actes condamnables, mais qui, tous, ont un but louable, ne dois-je pas l’absoudre, puisqu’elle a réussi à redresser les torts et à sauver les innocents ? Ne dois-je pas l’absoudre au nom des victimes qu’elle a