Page:Leblanc - Le Cercle rouge, paru dans Le Journal, 1916-1917.djvu/21

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grogna Bob, resté seul. » Mais il se dit que la crise était finie et que, cette fois encore, il était sauvé.

Il s’étira. L’alcool qu’il avait bu l’étourdissait. La course l’avait éreinté. Il eut un haussement d’épaules, d’indifférence veule, se tourna sur le maigre lit et s’endormit d’un sommeil de plomb.

Jim Barden, pendant de longues minutes, resta plongé dans ses pensées.

Sa fureur avait fait place à la détresse. Muet, immobile, il n’était plus qu’un homme désespéré, qu’écrase, toujours accru, l’effroyable poids d’un mal héréditaire et qu’il sait inexorable. Au milieu de l’angoisse, de l’horreur, du remords, comme un glas, revenait impitoyable, obsédante, mais sous une forme modifiée, la phrase qu’il avait criée au misérable adolescent qui dormait maintenant dans la pièce voisine :

— Nous n’avons pas le droit de vivre !

Cette phrase, elle sonnait à ses oreilles, et elle retentissait au fond de son cerveau depuis des mois. Maintenant, la décision prise le rendait calme, décision instinctive d’abord, pourrait-on dire, puis nette, consciente, réfléchie.

— Nous n’avons pas le droit de vivre !

Jim Barden se leva de sa chaise. Cette phrase, il la répéta sourdement, puis à haute voix, comme pour mieux la comprendre, pour mieux se l’affirmer à lui-même.

— Nous n’avons pas le droit de vivre !

Et les yeux fixes, il continua :

— Nous sommes les deux derniers, lui et moi… Quand nous serons morts, la race maudite aura cessé d’exister. Je suis un criminel, il est un voleur ; nous devons disparaître. Notre avenir, à lui comme à moi, c’est le bagne ou le cabanon, l’asile ou l’échafaud… La mort vaut mieux…

Pas d’autre lutte. Pas d’autre débat au fond de lui. La décision inexorable.

Plus blême encore que d’ordinaire, il ouvrit sans bruit la porte de l’autre chambre. À pas muets, il s’approcha du lit, se pencha vers son fils, qui dormait toujours, lourdement, et regarda longuement son visage plombé, prématurément flétri, portant tous les stigmates de la dégénérescence et du vice.

Jim Barden se redressa. Il eut une dernière hésitation.

Puis, brusquement, il leva la main vers le mur et ouvrit le robinet du bec de gaz.

Il repassa dans la pièce voisine, et, derrière lui, ferma doucement la porte, contre laquelle il s’adossa, hagard.

— Il va mourir sans s’en rendre compte, murmura-t-il. Je ne veux pas qu’il souffre. N’est-il pas une victime, lui aussi !… comme moi… N’est-il pas sous l’influence du Cercle Rouge, puisqu’il est mon fils !…

Tout à coup, il eut un tressaillement, se pencha en avant, les yeux fixés vers le sol, se ramassa sur lui-même, prêt à bondir.

La trappe du plancher s’ouvrait.

Elle s’ouvrait lentement, sans bruit, soulevée par un effort vigoureux.

Un objet apparut, qui était le canon d’un revolver. Puis une main qui tenait l’arme.

Jim Barden, courbé, silencieux, fit un pas, et, brusquement, saisit à pleins poings la main et l’arme.

Il y eut quelques instants de lutte ; l’arrivant, invisible encore, se défendait désespérément. Le vieux bandit eut le dessus. Il arracha le revolver des doigts crispés qui le tenaient et attira brutalement l’inconnu hors de la trappe.

Jim-Cercle-Rouge reconnut Max Lamar. Un rictus de fureur contracta ses traits, et il braqua l’arme sur la poitrine du médecin.

— Haut les mains ! gronda-t-il.

Max Lamar, avec le plus parfait sang-froid, obéit.

Il y eut un instant de silence effrayant.

— Tu m’as fait enfermer trois fois dans la maison des fous, médecin maudit ! continua Jim, mais, cette fois, c’est moi qui te tiens… et je ne te lâcherai pas !…

— Je constate, comme c’était mon avis, du reste, qu’on vous a mis en liberté trop tôt, Jim Barden, dit tranquillement le docteur Lamar. Vous n’êtes pas guéri…

— Mets-toi là, interrompit Jim violemment, en désignant une chaise du canon de son revolver. Nous avons à causer.

Lui-même, tenant toujours Max Lamar sous la menace de l’arme, se laissa tomber sur la chaise qui était de l’autre côté de la table. Il éleva sa main droite, où apparaissait, rouge de sang, le stigmate héréditaire.

— Tu as vu cela ? Tu connais cela ? C’est la marque ! Tu sais ce qu’elle signifie ? Il y a toujours eu, de génération en génération, un Barden avec cette marque sur la main. Et celui-là était un être taré, malade, extravagant, ou bien un criminel, ou bien un fou…

— Je croyais que l’hérédité de ce stigmate singulier était une légende, observa, toujours calme, Max Lamar, qui suivait de l’œil chacun des mouvements de son terrible interlocuteur.

— L’instant est venu où cela va cesser, continua Jim. Il faut que notre race maudite disparaisse ! Nous ne sommes plus que deux, moi et mon fils… Pour lui, déjà, c’est commencé… Là. (Il eut un geste vers le mur.) Écoute !… Ne l’entends-tu pas râler, suffoqué par le gaz ?… Maintenant, c’est à mon tour de mourir. Tu m’as fourni l’arme… Mais je vais t’emmener avec moi, docteur Lamar, puisque tu es venu me chercher jusqu’ici…

À la contraction du visage de Barden, le docteur Lamar comprit qu’il allait tirer. Rapide comme l’éclair, il saisit le revolver, cherchant à désarmer le forcené.

Enlacés dans une étreinte furieuse, tous deux roulèrent à terre et se relevèrent sans