Page:Leblanc - Le Cercle rouge, paru dans Le Journal, 1916-1917.djvu/211

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parfaitement immobile, mais quand il entendit le bruit des pas, il fixa sur les arrivants des yeux qui s’animèrent à la vue du chef de police.

Randolph Allen s’approcha de son chevet.

— Alors, ça ne va pas, Smiling ? Il faut réagir un peu, mon garçon.

Le bandit répondit par un grognement sourd. Le chef de police reprit :

— Vous avez demandé à me voir ? Vous avez, paraît-il, des révélations à me faire au sujet du Cercle Rouge. Je les attends.

Sam Smiling essaya, sans succès de se redresser. Un infirmier vint à son aide.

— Approchez-vous, dit le bandit au chef de police.

Celui-ci s’assit à côté du lit.

— Attention, commença Sam d’une voix rauque, écoutez bien. Je crois que je n’en ai plus pour longtemps, et, avant, je veux dire ce que je sais. On m’a trahi, il faut que ça se paye. Alors, je connais le secret du Cercle Rouge. Il y a une seule personne qui en est marquée et qui a tout fait, les vols et tout. C’est une femme.

— Oui, nous le savions.

— Cette femme, c’est la fille de Jim Barden. On n’en sait rien. On la croit la fille d’une dame riche, mais ce n’est pas vrai. J’ai connu sa vraie mère, la femme de Jim Barden. Elle est morte il y a vingt ans, mais sa fille lui ressemble, sa fille qui est marquée du Cercle Rouge.

Il s’interrompit, haletant.

— Et qui est cette femme ? demanda Randolph Allen, qui craignait que les forces de Sam ne vinssent à l’abandonner avant qu’il eût complété sa révélation.

— Cherchez. C’est une devinette, dit Sam en esquissant un de ses anciens sourires narquois. Vous ne trouvez pas ? Je vais vous aider… C’est Florence Travis.

— Hein ? dit Allen, qui fit un bond de surprise et dont le visage, pour la première fois et sans doute pour la dernière fois de sa vie, exprima la stupeur.

— Oui, dit Sam Smiling, c’est elle. Arrêtez-la, mettez-la en observation. Tôt ou tard le Cercle Rouge paraîtra sur sa main. Je l’ai vu de mes yeux… Faites une enquête, tout se tient, tout concorde… C’est elle… Elle m’a trahi, je me venge, acheva-t-il d’une voix qui faiblissait.

Et, épuisé par l’effort qu’il avait fait pour assouvir sa haine, il ferma les yeux.

— Soignez-le bien, recommanda en s’éloignant le chef de police ; il serait fâcheux qu’un tel bandit échappât au jugement.

Il sortit de l’hôpital, suivi de Farwell.

— Eh bien ! demanda-t-il à ce dernier, que pensez-vous de cette révélation ?

— Elle ne m’étonne aucunement, répondit Silas. Je m’y attendais. J’étais sûr que la femme au Cercle Rouge et miss Florence Travis n’étaient qu’une seule et même personne.

Et il ajouta en ricanant :

— Je voudrais voir la figure de M. Lamar quand il apprendra cette nouvelle. Lorsque je lui ai fait part de mes soupçons, il s’est mis en colère et m’a presque injurié.


Max Lamar, nous l’avons vu, connaissait déjà le redoutable secret de Florence.

À la même heure où Farwell et Randolph Allen quittaient l’hôpital, le médecin légiste rentrait chez lui en proie à la douleur la plus déchirante. Tout le rêve de sa vie s’était effondré d’un seul coup. Il resta quelques instants prostré sur un siège de son cabinet de travail, souffrant tellement qu’il arrivait à peine à enchaîner ses idées.

Enfin, cependant, son visage parut se rasséréner un peu, comme sous l’influence d’une résolution prise.

Ayant mis de l’ordre dans sa toilette, il sortit.


fin du dixième épisode