Page:Leblanc - Le Cercle rouge, paru dans Le Journal, 1916-1917.djvu/214

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— Eh bien ? demanda Lamar en tremblant.

— Il leur a raconté une histoire vraiment extraordinaire, une histoire à n’y pas croire.

— Mais encore, qu’a-t-il dit ?

— Oh ! des bêtises. Il avait le délire, sûr et certain.

— Mais non, il n’avait pas le délire, s’écria Max Lamar avec véhémence. Vous-même venez de me dire, et vous en avez eu la preuve, qu’il jouait la comédie à ce moment-là. Parlez. Qu’a-t-il dit ?

— Mon Dieu, monsieur Lamar, puisque vous tenez tant à le savoir. Mais ça m’ennuie tout de même, vu qu’il a accusé une demoiselle de vos amies, à qui vous paraissez porter de l’intérêt, et puis, enfin, c’est des blagues… sûrement… Enfin, il a dit que la personne au Cercle Rouge, c’était…

— C’était… ?

Mlle Florence Travis.

Max Lamar ne s’attendait pas à entendre un autre nom. Cependant, il reçut un choc affreux. Il eut un éblouissement de détresse et d’horreur, et il lui fallut toute sa force pour ne pas tomber.

Ainsi, tout espoir était perdu. Le secret terrible qu’il avait voulu étouffer était divulgué.

Par amour pour Florence, par pitié pour Mme Travis, il avait cru pouvoir réussir à en empêcher la révélation publique. Personne n’aurait connu l’affreux mystère que la jeune fille et lui. Certain que rien ne serait su, il aurait alors tenté une cure physique et morale qui eût abouti peut-être à la guérison complète. Et alors, le mal héréditaire enfin dominé et vaincu, toute trace de cette aventure anéantie, il aurait pu réaliser le rêve si cher qu’il avait caressé : épouser cette jeune fille à l’âme si belle et si noble, malgré la fatalité qui pesait sur elle, et dont, à force d’énergie et d’amour, il eût triomphé définitivement.

Tout s’écroulait. Le scandale allait éclater, effroyable. Max Lamar, le front baissé, les lèvres tremblantes, souffrait atrocement, pour elle d’abord, pour lui ensuite.

Cependant, le gardien reprit son récit :

— Il avait un tel accent de sincérité, ce coquin-là, qu’on n’aurait jamais cru que c’était une frime. Il simulait la faiblesse et l’épuisement. Nous nous y sommes tous laissé prendre. Et même j’ai trouvé ça ridicule quand on m’a donné la consigne de le surveiller. Eh bien, il m’a joliment arrangé. D’abord, il s’est débarrassé de moi en m’envoyant chercher un oreiller, et en m’enfermant. Et puis il a failli me tuer d’un coup de tête. On aurait dit une catapulte. J’en ai encore de la difficulté à reprendre mon souffle.

Max Lamar n’écoutait pas le bavardage du gardien. Il cherchait à reprendre son sang-froid, à envisager avec calme et fermeté la situation, à découvrir une lueur de possible espoir dans l’ombre épaisse qui l’enveloppait, mais un mouvement près de lui attira son attention et lui fit relever la tête. Le brancard était arrivé, et on y déposait, pour l’emporter, le corps du bandit, tandis que des policemen maintenaient à distance la foule qui s’était amassée.

Max Lamar se dirigea vers le médecin chef et l’interne. Il prit congé d’eux. Puis il jeta un dernier regard sur le brancard où était la dépouille de Sam Smiling.

— Peu d’hommes ont fait autant de mal que cet homme, murmura-t-il.

Et, plus bas encore, pour lui-même, il ajouta :

— Aucun homme ne m’a fait autant de mal.

Et en disant cela, il ne pensait pas aux tentatives d’assassinat au cours desquelles il avait failli périr.

Puis Max Lamar s’éloigna d’un pas rapide.