Page:Leblanc - Le Cercle rouge, paru dans Le Journal, 1916-1917.djvu/223

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nières de droit commun. Elle recouvra sa liberté le soir même de son arrestation.

Mais où aller ? Mme Travis l’avait chassée de sa demeure et de son cœur. Florence n’éprouvait pas pour la vieille dame le moindre ressentiment. Elle comprenait trop son chagrin, son horreur, sa détresse, et l’effroyable amertume de voir sa vie brisée. Avec le temps, peut-être, l’oubli viendrait panser un peu sa plaie. Mais, de toutes façons, Florence fût morte plutôt que de venir demander sa place au foyer dont on l’avait bannie.

La fidèle Mary, qui n’avait pas quitté la jeune fille, se dépensa sans compter pour trouver à cette situation une solution provisoire. Elle découvrit dans un quartier retiré un appartement meublé très modeste qu’elle loua sur-le-champ. Les deux femmes s’y installèrent.

— Pour le reste, ne vous occupez de rien, ma chérie, dit la fidèle gouvernante. Vous êtes toujours mon enfant et, moi, je ne vous abandonnerai jamais, vous le savez.

— Oh ! tu es bonne, Mary, tu es bonne… Sans toi, que deviendrais-je ? Il ne me reste plus que toi sur terre…

— Mais, que dites-vous, Flossie ? Oubliez-vous tous ceux pour qui vous avez risqué votre réputation et votre liberté, tous ceux pour lesquels vous souffrez tout ce que vous souffrez maintenant ? Il n’y a pas, au monde, que des ingrats et des égoïstes, soyez-en sûre, mon enfant. Quelque chose me dit que ceux qui reçurent de vous tant de bienfaits sauront vous témoigner leur reconnaissance. Tenez, croyez-vous que l’avocat Gordon, par exemple, oubliera que vous lui avez sauvé l’honneur et la vie ?

— Peut-être, en effet…

— Et, sans même parler d’eux tous, n’avez-vous pas le meilleur des amis ?

— Max Lamar ?… Oh ! celui-là, oui. Vraiment, j’étais ingrate. Que n’a-t-il pas fait pour moi ? Il s’est presque compromis pour me défendre. Tout le monde sait qu’il avait fait de moi sa collaboratrice. De là à le soupçonner de complicité, il n’y a qu’un pas que franchiront tôt ou tard tous les envieux qui ne peuvent lui pardonner son mérite… Oui, je sais tout ce qu’il est pour moi. Mais…

— …Mais quoi encore ? demanda Mary.

— Mais il est une chose contre laquelle sa science et son amitié demeureront impuissantes. Tu me comprends, Mary ?… Même si je suis sauvée de l’opprobre d’une condamnation, à quoi me servira ma liberté ? Ma liberté sans lui, sans lui que j’aime ?…

Mary se rapprocha de Florence.

— Mon enfant, ne parlez pas ainsi… Le docteur Lamar vous a demandé votre main. À ce moment, il connaissait votre secret. Il vous savait coupable. Pourquoi voulez-vous que ses sentiments aient changé ? Au contraire, plus il vous saura malheureuse, plus il aura le désir de vous protéger. Et, tôt ou tard, vous épouserez le docteur Lamar…

— L’épouser ? Non, jamais, jamais, entends-tu bien ? J’aimerais mieux mourir. Voyons, ma pauvre Mary, ton affection pour moi te rend complètement aveugle. Réfléchis seulement une minute. Tu voudrais que je devinsse la femme du docteur Max Lamar en continuant à porter le poids de l’hérédité terrible qui me courbe sous une loi fatale et qui me marque comme on marquait les forçats ? Tu voudrais que j’apportasse en dot à cet homme, juste, honorable et généreux, les risques terribles de rechutes perpétuelles ? Qui te dit que demain, sous l’influence inéluctable du Cercle Rouge, je ne retomberai pas dans mes fautes passées ?… Je dis « mes fautes », pour parler comme tous… disons plutôt « mes aventures… » Pourrai-je me retenir sur la pente où je serai invinciblement entraînée ?