Page:Leblanc - Le Cercle rouge, paru dans Le Journal, 1916-1917.djvu/245

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Quand le petit frémissement sympathique causé par ces paroles se fut apaisé, Me Gordon continua sa plaidoirie. Serrant de près son sujet, il fit défiler devant la cour et le jury les physionomies des différentes et prétendues victimes de Florence Travis. Karl Bauman, entre autres, passa un fort mauvais quart d’heure. Ted Drew fut durement qualifié. Mais celui pour qui l’avocat réserva particulièrement ses foudres, ce fut Silas Farwell.

Gordon répondit ensuite à l’avocat général :

— Certes, comme l’a très bien dit le ministère public, la justice ne saurait s’appuyer sur l’examen des intentions pour résoudre les faits eux-mêmes. Ce serait la porte ouverte à l’arbitraire, et l’on risquerait fort de remettre en liberté des prévenus qui, une fois, acquittés ainsi, n’hésiteraient pas à recommencer.

» Mais le cas de miss Travis constitue, si j’ose employer ce pléonasme, une exception exceptionnelle. Les actes qu’elle a accomplis ont eu des conséquences utiles, qui ne sauraient les justifier, soit. Mais je puis affirmer à la cour et à MM.  les jurés que ces actes ne se renouvelleront pas. La terrible influence, dont le docteur Lamar vous a expliqué si magistralement, tout à l’heure, la cause et les effets, n’existe plus. Grâce à un traitement sévère d’éducation de la volonté et d’entraînement moral qui a été suivi par Mlle Travis depuis son arrestation avec la plus admirable persévérance, elle s’y est entièrement soustraite.

» Depuis trois mois, le Cercle Rouge n’a pas reparu sur sa main. Depuis le commencement des présents débats, malgré toutes les émotions éprouvées par cette jeune fille, malgré les dépositions tendancieuses et, en divers points, calomnieuses de ses ennemis, qui ont dû l’irriter, sa main est restée blanche comme vous la voyez, messieurs. Le mal est définitivement vaincu.

» La guérison est donc complète. C’est là une garantie pour l’avenir. C’est un poids, messieurs les jurés, que j’enlève de vos consciences. Certains que Florence Travis a retrouvé une vie psychique normale, vous pouvez être certains par cela même qu’elle ne recommencera plus ses tentatives hasardeuses. »

Dans une splendide péroraison, Me Gordon demanda que Florence Travis fût rendue à celle qui l’avait élevée et qui, tout à l’heure, était venue implorer sa grâce. Il fut tour à tour émouvant, vigoureux et persuasif.

— Vous poursuivez moins Florence Travis que le Cercle Rouge lui-même, cette marque de folie, de malédiction et de crime. Or, le Cercle Rouge n’existe plus. Il entre dans le domaine des légendes. Savons-nous quel souvenir il laissera ? Peut-être plus tard, dans les contes que les grand’mères diront à leurs petits-enfants, sera-t-il question d’une bonne fée