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Depuis la veille, dans la banque Bauman, régnaient la méfiance et la consternation.

M.  Bauman avait la cordialité d’un chat-tigre. Les employés, tels des conspirateurs, ne parlaient qu’à voix basse et regardaient derrière toutes les portes et sous tous les meubles, comme s’ils avaient pensé pouvoir y opérer une capture importante. Larkin, le garçon de bureau, assumait les allures d’un trappeur sur le sentier de la guerre et dévisageait les visiteurs, comme avec l’intention de les attacher au poteau de torture pour les contraindre à entrer dans la voie des aveux.

Mary dut parlementer avec lui pendant dix minutes pour réussir à se faire admettre dans le salon d’attente, où plusieurs personnes, appartenant à la classe populaire, se trouvaient déjà.

Il y eut un coup de sonnette rageur, provenant du cabinet de M.  Bauman.

Larkin se précipita et revint, appelant Joe Brown.

Répondant à ce nom, s’avança un garçon en bras de chemise de vingt-sept à vingt-huit ans, à l’air franc, brusque et déluré. Il entra dans le cabinet de M.  Bauman dont, soit par inadvertance, soit intentionnellement, il laissa la porte entre-bâillée, en sorte que, du salon, on put entièrement suivre la conversation qui s’engagea.

— Bonjour, Bauman ! dit, d’une voix forte, Joe Brown en entrant.

M.  Bauman sursauta. Il n’avait pas l’habitude d’entendre ses victimes lui parler sur ce ton.

— Hein ? Que signifie ? Est-ce que vous êtes ivre ? s’exclama-t-il, menaçant.

— Pas du tout, dit Brown imperturbable. J’ai l’intention de l’être ce soir à cause de mon contentement, mais, pour le moment, je ne le suis pas. Lisez ceci, Bauman. Cela vient de m’arriver par la poste.

M.  Bauman lui arracha des mains une lettre écrite à la machine et lut :

« Monsieur Joe Brown,

» Les reconnaissances à intérêts usuraires que vous avez souscrites à Karl Bauman ont été complètement détruites. Je vous en donne quittance. Vous ne lui devez plus rien.

 » Un ami des opprimés. »

— C’est faux !… C’est un mensonge !… bégaya M.  Bauman, livide de rage.

— C’est cette voleuse d’hier, dit tranquillement Brown. Il y a du bon monde, tout de même. J’ai vu l’histoire dans les journaux. Vous m’aviez prêté quatre-vingts dollars. Je vous en ai rendu déjà cent vingt-cinq, alors, on est plus que quittes. À ne pas vous revoir, Bauman. Vous êtes une vieille canaille, j’ai plaisir à vous le dire.

Il s’en alla. Un autre débiteur lui succéda : un vieillard humble et poli, qui, avec un air d’excuse, dissimulant sa joie, présenta une lettre analogue à celle de Brown.