Page:Leblanc - Le Cercle rouge, paru dans Le Journal, 1916-1917.djvu/55

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d’une auréole de gloire visible, De plus, il avait maintes et maintes fois fait à des curieux, et non sans profit, la démonstration et le récit circonstancié, toujours enjolivé, amélioré et amplifié, des événements sensationnels où il avait joué, selon lui, le rôle prépondérant.

Il dégringola de son toit et s’approcha de la palissade.

— C’est par là qu’ils sont entrés, commença-t-il, s’adressant à Florence, avec le ton d’un guide de musée, et sans attendre de questions, — le bout de la palissade est décloué. Pour voir la trappe, il faut que vous passiez par ici. « Ils » se sont amusés à la boucher ; je vous montrerai la place.

— Non, dit Florence, je ne veux pas entrer, mais je veux que tu sortes, toi. J’ai une mission à te confier.

À l’instant même, Johnny, se faufilant entre deux planches, fut dans l’allée. Il exultait, la vie devenait de plus en plus passionnante. Après la chasse à l’homme et la trappe mystérieuse voilà qu’une dame venait le chercher, tout exprès pour lui donner une mission. Cependant, tout pétillant de curiosité qu’il était, il affectait un maintien grave.

— Tu connais Sam Smiling ? demande la jeune fille, que Johnny examinait sans discrétion.

— Oui, dit le gamin avec importance. Sam, le savetier, plutôt, que je le connais.

— Bien. Tu vas courir chez lui, lui porter cette lettre. Tu la lui remettras à lui-même. Tu entends, à lui-même. Quand il l’aura lue, il te dira oui ou non, et tu viendras me le redire à l’entrée du parc, où je vais aller t’attendre. Tiens, voilà pour ta peine.

— Merci beaucoup, dit Johnny. Je file chez Sam, et soyez tranquille, madame, je ne prendrai mon grog qu’après être revenu vous trouver dans le parc, termina-t-il, car il avait conscience qu’il aurait peut-être mieux fait de ne pas s’arrêter en chemin lorsque le docteur Lamar l’avait envoyé chercher les deux policemen.

Après cette promesse, laquelle demeura énigmatique pour Florence, qui d’ailleurs n’y prit aucune attention, Johnny partit de toute la vitesse de ses jambes.

La jeune fille, en hâte, se dirigea vers le parc, et, à l’entrée d’une allée ombreuse et déserte, fit halte. Son attente ne fut pas longue. Johnny parut bientôt, accourant au triple galop.

— Ça y est. Il était sur sa porte. Je lui ai donné le papier. Il est rentré pour le lire et puis il est ressorti et il a dit : « On va y aller. On y sera dans un quart d’heure. » Alors, moi, j’ai couru pour vous prévenir.

— Très bien, dit Florence.

— Vous n’avez plus besoin de moi ? C’est tout ? interrogea après un instant Johnny.

Sa figure s’était rembrunie. Il semblait considérablement déçu. Il avait compté sur une seconde histoire aussi passionnante que la première, sur des incidents mouvementés, des mystères et des drames. Et voilà que cette nouvelle affaire, qui s’annonçait si bien, se terminait, pour lui du moins, avec la simplicité la plus désolante. Sa déception était amère.

— Au revoir, lui dit Florence.

— Au revoir, madame. Alors, je m’en vais…, Enfin, vous savez où me trouver quand vous aurez besoin de quelqu’un de capable.

Florence, amusée, regarda le gamin qui s’éloignait à regret.

Restée seule, elle fit quelques pas dans l’allée sombre, puis s’assit sur une chaise du jardin et attendit. Elle était résolue et entièrement maîtresse d’elle-même. Du reste elle n’éprouvait pas le moindre sentiment, de crainte, estimant que l’homme à qui elle allait avoir affaire était parfaitement inoffensif.

Vingt minutes après, elle entendit une démarche traînante, mais la jeune fille, qui avait fait un pas en avant, s’arrêta. Ce n’était pas Sam Smiling qui survenait, c’était une vieille mendiante.