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ment, et il ne voyait que cela, et il ne regardait que cela, cette flamme qui courait sous sa peau, ce serpent de feu qui tournait indéfiniment sur lui-même, immobile en apparence, mais vivant d’une vie infernale.

Il avait l’impression affreuse que ses deux mains jointes traçaient autour du cou de son fils le plus épouvantable des cercles rouges, celui de la mort.

Il lâcha prise subitement. Cette vision de la mort le bouleversait. Son fils étranglé par lui ! Durant quelques secondes, le génie mauvais de l’instinct fut tenu en échec, mais durant quelques secondes seulement. Le Cercle rouge n’avait pas disparu.

Jim bondit jusqu’à la grille. Il lui semblait entendre les pas du gardien faisant sa tournée.

Au même moment, Bob, toujours étendu sur le sol et qui ne pouvait ou n’osait se relever, lança une plainte assez haute.

Alors, Jim s’affola. Sa crise évoluait, sa surexcitation changeait d’objet. Le gardien allait venir. Et ce serait l’arrestation de Bob, ce serait son fils en prison.

Et le Cercle rouge pénétrait dans sa chair, souffrance intolérable ! Le Cercle rouge entraînait ses idées en un tourbillon vertigineux, où il y avait des flammes et du sang.

Les pas s’approchèrent.

D’un effort violent Jim, à bout de bras, le poussa jusqu’à la lucarne ouverte. Un obstacle. Puis, le fracas de quelque chose qui tombait sur les pavés de la cour. C’était la planche, le pont qui reliait la lucarne au toit voisin.

Une dernière poussée.

Bob disparut.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Lorsque le gardien entra dans la cellule, il trouva le vieux Jim écroulé par terre et qui sanglotait convulsivement…




premier épisode

Le client du docteur Lamar

I

Le stigmate héréditaire


Ce matin-là, le mardi 13 juin, le docteur Max Lamar, médecin légiste attaché à l’administration de la police de Los Angeles, travaillait avec sa sténographe dans son bureau officiel.

Le bureau était une vaste pièce froide et morose, aux meubles sévères, aux boiseries brunes, et qui avait cet aspect revêche et impersonnel qu’on pourrait appeler le style administration. Deux portes s’y ouvraient : l’une, vitrée, avec une inscription : Docteur Max Lamar, donnait sur une galerie ; l’autre, pleine, communiquait avec le bureau des secrétaires.

La sténographe, Mlle Hayes, était une jeune fille de vingt-quatre à vingt-cinq ans, habillée avec sévérité ; elle était loin d’être jolie, mais son visage était intelligent et sérieux.

Elle répéta à mi-voix la dernière phrase qui lui avait été dictée : « … En résumé, la responsabilité du sujet paraît grandement atténuée par l’hérédité lourde qui pèse sur lui… »

Et, le crayon en l’air, elle attendit la suite, les yeux fixés sur son patron.

Celui-ci restait silencieux. Assis devant sa grande table encombrée d’instruments, de papiers et de documents de toutes sortes, il relisait une note avec attention. Dans la pièce on n’entendait aucun bruit que le tic-tac de l’horloge fixée au mur.

Mais la matinée s’avançait. Le docteur Lamar avait hâte de terminer son travail. Il se leva et se mit à marcher lentement d’un bout à l’autre de la chambre.

— Où en étions-nous, mademoiselle Hayes ? demanda-t-il.

Elle relut la phrase inachevée.

Il alluma une cigarette et reprit sa dictée d’une voix lente et nette.

Le docteur Max Lamar étonnait vivement ceux qui, le connaissant de réputation, le voyaient pour la première fois.