Page:Leblanc - Le Cercle rouge, paru dans Le Journal, 1916-1917.djvu/87

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Après avoir fait fuir Yama du jardin et être remontée chez elle par l’échelle, Florence, un peu essoufflée, mais parfaitement tranquille, avait posé le manteau noir sur un siège et s’était débarrassée de sa casquette et de son pardessus. Puis, à l’aide d’une serviette humide, elle avait effacé la teinte ocrée qu’elle s’était passée sur les joues et le fard dont elle avait renforcé l’arc de ses fins sourcils bruns. Après quoi, ses splendides cheveux bouclés répandus sur ses épaules, elle avait fait quelques pas dans son boudoir, très à l’aise dans ses habits d’homme. Elle était encore trépidante et surexcitée. Elle était enchantée d’avoir mené à bien son expédition, la plus hasardeuse de toutes celles qu’elle eût encore tentées et dont elle ne voulait plus voir ni le péril ni la louche étrangeté, tout à la joie d’avoir réussi.

Soudain, les coups frappés à sa porte et les appels de Mme Travis l’avaient fait bondir.

En un moment, réunissant les vêtements épars sur les chaises elle les fourra dans un carton qu’elle courut jeter au fond d’un vaste placard qui s’ouvrait à la tête de son lit, auprès d’une haute psyché. Elle enleva rapidement son veston et son gilet, s’assit sur le lit, quitta ses chaussures, retroussa le bas de son pantalon d’homme et ses manches de chemise et passa un kimono à grandes fleurs brochées. Elle ouvrit les couvertures, foula les oreillers, et se dirigea vers la porte dont elle tourna la clé. Le tout avait duré quelques instants à peine.

Florence, ses cheveux dans le dos, enveloppée dans son peignoir, apparut, les yeux encore pleins de sommeil, eût-on dit, dans l’encadrement de la porte.

— Qu’y a-t-il donc, maman ? demanda-t-elle avec un étonnement parfaitement joué. Tu as parlé d’un voleur, il me semble ? Qu’est-ce que cela veut dire ?…

— Mon enfant, quelle peur j’ai eue !… Yama affirme avoir vu un voleur escalader ta fenêtre.

— Un voleur ? par ma fenêtre ? Mais c’est impossible ! (Florence paraissait ahurie.) Sûrement je m’en serais aperçue…

Yama, saisi d’un accès de courage, était entré le premier, brandissant sa flûte comme une arme, dans l’appartement de la jeune fille et explorait partout avec soin, mais en vain. Mary examinait la fenêtre du boudoir et, la voyant fermée intérieurement, appela le maître d’hôtel pour le lui faire constater.

Yama passa sur le balcon, regarda dans le jardin, rentra dans la chambre et se jeta à plat ventre pour regarder sous le lit.

Il se releva. Sa figure exprimait une stupéfaction sans bornes.

Florence, qui s’était adossée à la porte du placard dans lequel elle avait caché ses vêtements, ne put s’empêcher d’éclater de rire.

— Eh bien, Yama, ce voleur ? demanda Mme Travis avec un peu d’irritation.

— Je l’ai vu, madame, je l’ai vu, je le jure ! commença le malheureux maître d’hôtel déconfit et qui commençait à croire que toute l’aventure du jardin, c’est-à-dire le monstre noir et le voleur, n’était qu’une hallucination.

— Alors, ou est-il passé ? dit Mary.

— Je crois que c’est le quatrième voleur que voit Yama depuis six mois, observa Florence, et personne, sauf lui, n’a jamais pu découvrir les traces d’un seul.

Yama allait parler, mais Mme Travis lui imposa silence.

— Cela suffit, Yama. Vous pouvez sortir. Ayez soin, n’est-ce pas, de ne plus nous