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JE SAIS TOUT

passage d’un groupe peu important, et qui semble porter une Forme inerte, la multitude des Formes vivantes s’écarte.

Que se produit-il alors ? Si nettes que soient mes sensations, et si exacts les souvenirs que j’en ai gardés, j’hésite à les transcrire en phrases. Je le répète : la vision dépasse les bornes de l’absurdité, tout en provoquant le frisson d’une horreur qu’on subit sans la comprendre. Car enfin, qu’est-ce que cela signifie ? Deux Formes puissantes projettent leurs tentacules, lesquels entourent la Forme inerte qui fut apportée, la compriment, la déchirent, la réduisent, et, se levant en l’air, brandissent une petite masse qu’ils ont séparée, comme une tête que l’on coupe, de la Forme primitive, et où s’écarquillent, vides de paupières, vides d’expression, les Trois Yeux géométriques !

Non, cela ne signifie rien. Ce sont des visions sans suite et sans réalité. Et, pourtant, notre cœur reste serré d’angoisse, comme si nous venions d’assister à un assassinat ou à une exécution. Et, pourtant, ces visions incohérentes furent peut-être ce qui contribua le plus à la découverte de la vérité. Leur illogisme amena une explication logique des phénomènes. L’excès des ténèbres avait allumé une première lueur…

Aujourd’hui, ce que j’appelle, en évoquant le passé, incohérence et ténèbres, me semble ordonnance parfaite et clarté absolue. Mais, en cette fin d’après-midi, où s’amassait d’ailleurs un orage au lointain du ciel, la foule, remise de son angoisse, devint plus bruyante et plus agressive. Le spectacle l’avait déçue. Elle n’y avait rien trouvé de ce qu’elle attendait, et manifestait son mécontentement par des cris de menace à l’adresse de Théodore Massignac. Les incidents qui allaient marquer le dénouement brusque de la séance se préparaient.

— Massignac ! Massignac ! scandait-on.

Debout au milieu de sa cage, la tête tournée vers l’écran, il épiait les symptômes possibles d’une autre vision. Et, de fait, à bien y regarder, ces symptômes existaient. On eût dit, plutôt que des visions, des reflets de visions qui effleuraient la surface du mur comme des nuées légères.

Soudain, Massignac étendit le bras. Les nuées légères prenaient des contours rigoureux, et l’on s’aperçut que, par dessous ce brouillard, le spectacle avait recommencé et qu’il continuait. Mais il continua péniblement, avec des distensions totales, et des moments de pénombre où les scènes se déroulaient dans de la brume. On voyait alors des rues presque désertes dont la plupart des boutiques étaient fermées. Personne aux portes ou aux fenêtres.

Une charrette, qu’on apercevait par intervalles, suivait ces rues. Elle portait, en avant, deux gendarmes habillés comme au temps de la Révolution ; en arrière, un prêtre, et un homme en habit, culotte foncée et bas blancs.

Une vision isolée nous présenta la figure et le buste de cet homme. Je reconnus, et, en général, tout le public de l’amphithéâtre reconnut la figure épaisse et lourde du roi Louis XVI. Il regardait d’un air fixe et dur.

Nous le revîmes, après quelques intermittences, sur une grande place entourée de canons et noire de soldats. Il montait les marches raides d’un échafaud. Il n’avait plus ni habit ni cravate. Le prêtre le soutenait. Quatre bourreaux essayèrent de le saisir.

Je suis obligé d’interrompre ici la relation, que je fais le plus sèchement possible, de ces fugitives apparitions, pour bien spécifier qu’elles ne produisirent pas sur le moment l’effet d’épouvante que l’on pourrait croire en me lisant. Elles furent trop brèves, comment dirai-je ?… trop décousues — et si mauvaises au point de vue strictement cinématographique où le public se plaçait malgré lui, qu’elles suscitaient, au lieu d’anxiété, de l’irritation et de la colère.

On avait subitement perdu toute confiance. On riait et on chantait. On conspuait Massignac. Et les invectives redoublèrent lorsque, sur l’écran, un