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JE SAIS TOUT

bords de la Seine que nous suivîmes un bon moment. La pluie avait cessé. Mais les ténèbres étaient toujours impénétrables.

— La barque est ici, me dit le gamin.

— Ah ! nous traversons ?

— Oui, la demoiselle est cachée de l’autre côté. Surtout, pas de bruit.

Bientôt après, nous abordâmes. Puis un sentier pierreux nous mena devant une maison dont le gamin frappa la porte à trois reprises.

On ouvrit. Toujours guidé, je montai quelques marches, franchis un vestibule qu’une bougie éclairait, et fus introduit dans une pièce obscure où quelqu’un se tenait. Aussitôt, la lueur d’une lampe électrique me heurta en plein visage, Un canon de revolver fut braqué sur moi, et une voix d’homme me dit :

— Du silence, n’est-ce pas ? Le moindre bruit, la moindre tentative d’évasion, c’est votre perte. Rien à craindre d’ailleurs, et rien de mieux que de dormir.

La porte fut refermée sur moi. Deux verrous claquèrent.

J’étais tombé dans le piège que le sieur Velmot — je n’hésitai pas à l’accuser — m’avait tendu par l’entremise de Bérangère.

Cette aventure, inexplicable comme toutes celles auxquelles Bérangère fut mêlée, ne m’effraya pas outre mesure sur le moment. Sans doute étais-je trop las pour chercher des raisons à la conduite de la jeune fille et de l’homme qui la dirigeait. Pourquoi m’avait-elle trahi ? En quoi avais-je pu déplaire au sieur Velmot ? Et dans quel intérêt m’enfermait-il, si je n’avais rien à craindre de lui comme il le prétendait ? Autant de questions vaines. Ayant parcouru la pièce à tâtons, et constaté qu’il y avait un lit, ou plutôt une paillasse munie de couvertures, je jetai mes bottines et mes vêtements, m’enveloppai de ces couvertures, et m’endormis en quelques minutes.

Pendant mon sommeil qui dura jusqu’à une heure avancée du jour suivant, on dut pénétrer auprès de moi, car je vis sur une table un morceau de pain frais et une carafe d’eau. La cellule que j’occupais était petite. Une lumière suffisante pénétrait entre les lames d’une persienne, solidement barricadée à l’extérieur, comme je m’en rendis compte après avoir ouvert l’étroite fenêtre. Une de ces lames était à moitié brisée. Par cette fente, je vis que ma prison dominait de trois ou quatre pieds une bande de terrain au bord de laquelle de petites vagues venaient clapoter parmi les roseaux. Me retrouvant donc, après avoir traversé une rivière, en face d’une autre rivière, j’en conclus que Velmot m’avait conduit dans une île de la Seine. N’était-ce pas cette île que j’avais aperçue, en vision fugitive, sur la chapelle du cimetière ? et n’était-ce pas là que, l’hiver dernier, Velmot et Massignac avaient installé leur quartier général ?

Une partie de la journée s’écoula dans le silence. Mais, vers cinq heures, j’entendis un bruit de voix et les éclats d’une discussion. Cela se passait au dessous de ma cellule et, par conséquent, dans une cave dont le soupirail ouvrait sous ma fenêtre. En écoutant avec attention, il me sembla reconnaître à diverses reprises la voix de Massignac. La discussion se prolongea durant une heure. Puis, quelqu’un surgit devant ma fenêtre et appela :

— Eh ! vous autres, arrivez donc ! et préparons-nous… C’est une brute entêtée, il ne causera que si on l’y oblige.

C’était bien le grand gaillard qui, la veille, fendait la foule de l’Enclos en criant au blessé ! C’était bien Velmot, un Velmot amaigri, rasé, sans lorgnon — Velmot, le bellâtre, qu’aimait Bérangère ! Deux hommes, des comparses aux figures sinistres, l’avaient rejoint. Il répéta :

— Je l’y forcerai bien, l’animal ! Comment ! je le tiens à ma disposition, et je ne pourrais pas lui faire cracher son secret ? Non, non, il faudra en finir, et dès la nuit tombante. Vous êtes toujours décidés ?