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JE SAIS TOUT

Nous n’avions rencontré personne. Nul doute qu’on ne crût à un suicide. Une heure plus tard, Bérangère de retour au château, étendue sur son lit, me donnait sa main que je couvrais de baisers. Nous étions seuls, sans plus d’ennemis autour de nous. Aucune figure hideuse ne rodait dans les ténèbres. Personne ne pouvait plus s’opposer à notre juste bonheur.

— Le cauchemar a passé, lui disais-je. Il n’y a plus d’obstacle entre nous. Tu ne chercheras plus à t’enfuir, n’est-ce pas ?

Je la regardai avec une émotion où persistait beaucoup d’inquiétude. La chère petite demeurait encore pour moi pleine de mystère et d’inconnu, et bien des secrets se cachaient dans l’ombre de cette âme où je n’avais jamais pénétré. Je le lui dis. À son tour elle me regarda longtemps, de ses yeux las et brillants de fièvre, si différents des yeux insouciants et rieurs que j’avais aimés autrefois, et elle murmura :

— Des secrets ? Beaucoup de secrets ? Non. Il n’y en a qu’un en moi, et c’est celui-là qui est la cause de tout.

— Peux-tu me le confier, Bérangère ?

— Je vous aime.

Je frissonnai de joie. Cet amour, j’en avais eu souvent l’intuition profonde, mais entravée par tant de défiance, de soupçons et de rancune ! Et voilà qu’elle m’en faisait l’aveu, gravement et loyalement…

— Tu m’aimes… Tu m’aimes… Pourquoi ne me l’as-tu pas dit plutôt ? Que de malheurs auraient été évités ! Pourquoi ne me l’as-tu pas dit ?

— Je ne le pouvais pas.

— Et tu le peux maintenant, parce qu’il n’y a plus d’obstacle entre nous ?

— Il y a entre nous toujours le même obstacle.

— Lequel ?

— Il y a mon père.

Je prononçai à voix basse :

— Tu sais que Théodore Massignac est mort.

— Je le sais.

— En ce cas…

— Je suis la fille de Théodore Massignac.

Je m’écriai vivement :

— Bérangère, il est une chose que je désire te révéler, et j’affirme d’avance…

Elle m’interrompit.

— N’en dites pas davantage, je vous en supplie. Il y a cela qui nous sépare. C’est un abîme qu’il ne faut pas espérer combler avec des mots.

Elle semblait si épuisée que je voulus la quitter. Elle m’en empêcha.

— Non, dit-elle. Je ne serai pas malade… quelques jours, tout au plus. Auparavant, je veux que tout soit très clair entre nous, et que vous n’ignoriez pas un seul de mes actes. Écoutez-moi…

— Demain, Bérangère.

— Aujourd’hui, ordonna-t-elle. J’ai besoin de me confier à vous tout de suite. Rien ne peut me donner plus de calme. Écoutez-moi.

Il n’était pas nécessaire qu’elle me priât longtemps. Comment me serais-je lassé de la contempler et de l’entendre ? De telles épreuves nous avaient assaillis quand nous étions loin l’un de l’autre, que je craignais, malgré tout, de n’être plus auprès d’elle !

Elle passa son bras autour de mon cou, ses jolies lèvres frémissaient sous mes yeux. Voyant que mon regard s’y posait, elle sourit.

— Vous vous rappelez, dans l’Enclos… la première fois… De ce jour-là je vous ai détesté… et adoré. J’étais votre ennemie… et votre esclave… Oui, toute ma nature indépendante, un peu farouche, se révoltait de ne pouvoir