Page:Leblanc - Le triangle d'or, paru dans Le Journal, du 20 mai au 26 juil 1917.djvu/73

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

soit le droit que tu te croyais de tuer cet homme, tu ne tueras pas… et j’aime mieux ça.

Lentement le bras de la jeune femme retomba le long de son corps. Les traits se détendirent. Patrice devina le soulagement immense qu’elle éprouvait à échapper aux étreintes de l’idée fixe qui la contraignait au meurtre. Elle examina son poignard avec étonnement, comme si elle sortait d’un cauchemar affreux. Puis, se penchant sur son mari, elle se mit à couper ses liens.

Elle fit cela avec une répugnance visible, évitant pour ainsi dire de le toucher et fuyant son regard. Une à une, les cordes furent tranchées. Essarès était libre.

Ce qui se passa alors fut la chose la plus déconcertante. Sans un mot de remerciement pour sa femme, et sans un mot de colère non plus contre elle, cet homme qui venait de subir un supplice cruel et que la souffrance brûlait encore, cet homme se précipita, titubant et les pieds nus, vers un appareil téléphonique posé sur une table et que des fils reliaient à un poste fixé à la muraille.

On eût dit un homme affamé, qui aperçoit un morceau de pain et qui s’en empare avidement. C’est le salut, le retour à la vie. Tout pantelant, Essarès décrocha le récepteur et cria :

— Central 40-39.

Puis, aussitôt, il se tourna vers sa femme :

— Va-t’en !

Elle parut ne pas entendre. Elle s’était inclinée vers le vieux Siméon et le délivrait également.