Page:Leblanc - Les Dents du Tigre, paru dans Le Journal, du 31 août au 30 octobre 1920.djvu/172

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Don Luis se détourna. Chose bizarre, il n’éprouvait aucune pitié, et les larmes de la jeune fille, de même que ses injures, ne le remuaient pas plus que s’il n’eût jamais aimé Florence. Il fut heureux de cette libération. L’horreur qu’elle lui inspirait avait tué tout amour.

Mais, étant revenu devant eux après avoir fait quelques pas à travers la pièce, il s’aperçut qu’ils se tenaient par la main, comme deux amis en détresse qui se soutiennent, et, repris d’un brusque mouvement de haine, subitement hors de lui, il empoigna le bras de l’homme.

— Je vous défends… De quel droit ?… Est-ce votre femme ? votre maîtresse ? Alors, n’est-ce pas ?…

Haut les mains ! ordonna-t-il…

Sa voix s’embarrassait. Lui-même sentait l’étrangeté de cet accès furieux, où se révélait soudain, dans toute sa force et dans tout son aveuglement, une passion qu’il croyait à jamais éteinte. Et il rougit, car Gaston Sauverand le regardait avec stupeur, et il ne douta pas que l’ennemi n’eût percé son secret.

Un long silence suivit, durant lequel il rencontra les yeux de Florence, des yeux hostiles, pleins de révolte et de dédain. Avait-elle deviné, elle aussi ?

Il n’osa plus dire un seul mot. Il attendit l’explication de Sauverand.

Et, dans cette attente, ne songeant ni aux révélations qui allaient se produire, ni aux problèmes redoutables dont il allait enfin connaître la solution, ni aux événements tragiques qui se préparaient, il pensait uniquement, et avec quelle fièvre ! avec quelle palpitation de tout son être ! à ce qu’il était sur le point de savoir sur Florence, sur les sentiments de la jeune fille, sur son passé, sur son amour pour Sauverand. Cela seul l’intéressait.

— Soit, dit Sauverand. Je suis pris. Que le destin s’accomplisse ! Cependant, puis-je vous parler ? Je n’ai plus maintenant d’autre désir que celui-là.