Page:Leblanc - Les Dents du Tigre, paru dans Le Journal, du 31 août au 30 octobre 1920.djvu/202

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Et les questions se pressaient en lui. Il y répondait quelquefois au hasard, citant des noms et prononçant des mots à la suite les uns des autres, comme si le nom cité eût pu être précisément celui du coupable, et les mots prononcés ceux qui contenaient l’invisible réalité.

Puis aussitôt il reprenait le récit, comme les écoliers font avec leurs devoirs, analyse logique et analyse grammaticale, où chaque expression est passée au crible, chaque période disloquée, chaque phrase réduite à sa valeur essentielle.

Des heures et des heures s’écoulèrent.

Et tout à coup, au milieu de la nuit, il eut un soubresaut. Il tira sa montre. À la clarté de sa lanterne électrique, il constata qu’elle marquait onze heures quarante trois.

— C’est donc à onze heures quarante-trois minutes du soir, dit-il à haute voix, que j’ai pénétré jusqu’au fond des ténèbres.

Il était sur le point de contourner l’alcôve…

Il cherchait à dominer son émotion, mais elle était immense, et il se mit à verser des larmes, tellement ses nerfs étaient ébranlés par l’épreuve. Il venait, en effet, d’entrevoir brusquement, comme on devine un paysage nocturne à la lueur d’un éclair, la formidable vérité.

Il n’est pas de sensation plus violente que ces sortes d’illuminations qui éclatent soudain au milieu de l’ombre où l’on tâtonne et où l’on se débat. Épuisé déjà par l’effort physique et par le manque de nourriture dont il commençait à souffrir, il subit cette secousse si profondément que, sans vouloir réfléchir un instant de plus, il réussit à s’endormir, ou plutôt à s’enfoncer dans le sommeil, comme on s’enfonce dans l’eau d’un bain réparateur.

Quand il se réveilla, au petit matin, dispos malgré l’incommodité de sa couche, il eut un frisson en songeant à l’hypothèse qu’il avait acceptée et son instinct fut d’abord de la mettre en doute. Il n’en eut