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soir même, et que le lendemain la police serait en face d’un crime, en face des deux coupables contre lesquels il avait lui-même accumulé les charges, en face de Marie-Anne Fauville, qu’il a, pour ainsi dire, accusée d’avance.

» Et c’est pourquoi la visite du brigadier Mazeroux et la mienne, à neuf heures du soir, dans son hôtel, l’ont si visiblement embarrassé. Quels étaient ces intrus ? N’arriveraient-ils pas à démolir son plan ? La réflexion le rassura, autant que notre insistance le contraignit à céder. Après tout, que lui importait ? Ses mesures étaient si bien prises qu’aucune surveillance ne pouvait les détruire ni même les percevoir. Ce qui devait se produire se produirait en notre présence et à notre insu. La mort, convoquée par lui, ferait son œuvre.

Don Luis s’arrêta quelques secondes…

» Et la comédie, la tragédie plutôt, se déroula. Mme Fauville, qu’il envoyait à l’Opéra, vint lui dire adieu. Puis son domestique lui apporta des aliments, entre autres un compotier de pommes. Puis ce fut un accès de fureur, l’angoisse de l’homme qui va mourir et que la mort épouvante, et puis toute une scène de mensonge, où il nous montra son coffre-fort et le carnet de toile grise qui contenait soi-disant le récit du complot.

» Dès lors, tout était fini, Mazeroux et moi retirés dans l’antichambre, la porte fermée, Fauville demeurait seul et libre d’agir. Rien ne pouvait plus faire obstacle à sa volonté. À onze heures du soir, Mme Fauville — à qui sans doute, dans la journée, il avait expédié, en imitant l’écriture de Sauverand, une de ces lettres qu’on déchire aussitôt reçues, et par laquelle Sauverand suppliait la malheureuse de lui accorder un rendez-vous au Ranelagh, — Mme Fauville quitterait l’Opéra, et, avant d’aller à la soirée de Mme d’Ersinger, irait passer une heure aux environs de l’hôtel. D’autre part, à cinq cents mètres de là, et du côté opposé, Sauverand accomplirait son