Page:Leblanc - Les Dents du Tigre, paru dans Le Journal, du 31 août au 30 octobre 1920.djvu/241

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

pèlerinage habituel du mercredi. Pendant ce temps, le crime serait exécuté. Se pouvait-il que l’un et l’autre, désignés à l’attention de la police, soit par les allusions de M. Fauville, soit par l’incident du café du Pont-Neuf, et tous deux incapables, en outre, soit de fournir un alibi, soit d’expliquer leur présence dans les parages de l’hôtel, se pouvait-il qu’ils ne fussent pas accusés et convaincus du crime ?

» Au cas inadmissible où un hasard les protégerait, une preuve irrécusable était là, à portée de la main, placée par M. Fauville, la pomme où se trouvaient incrustées les dents mêmes de Marie-Anne Fauville ! Et puis, quelques semaines plus tard, manœuvre suprême et décisive, l’arrivée mystérieuse, de dix jours en dix jours, des lettres de dénonciation.

» Ainsi tout est réglé. Les moindres détails sont prévus avec une lucidité infernale. Vous vous rappelez, monsieur le préfet, cette turquoise tombée de ma bague et retrouvée dans le coffre-fort ? Quatre personnes seulement avaient pu la voir et la ramasser. Parmi elles, M. Fauville. Or, c’est lui précisément que nous mîmes tout de suite hors de cause, et c’est lui, cependant, qui, pour me rendre suspect et pour écarter par avance une intervention qu’il devinait dangereuse, a saisi l’occasion offerte et introduit la turquoise dans le coffre-fort !

» Cette fois, l’œuvre est achevée. Le destin va s’accomplir. Entre le « haïsseur » et ses proies, il n’y a plus que la distance d’un geste. Ce geste est exécuté. M. Fauville meurt. »

Don Luis se tut. Un assez long silence suivit ses paroles, et il eut la certitude que le récit extraordinaire qu’il venait de terminer recueillait auprès de ses auditeurs l’approbation la plus absolue. On ne discutait pas, on croyait. Et c’était pourtant la plus incroyable vérité qu’il leur demandait de croire.

M. Desmalions posa une dernière question :

— Vous étiez dans cette antichambre avec le brigadier Mazeroux. Dehors, il y avait des agents. En admettant que M. Fauville ait su qu’on devait le tuer cette nuit-là, et à cette heure même de la nuit, qui donc a pu le tuer, et qui donc a pu tuer son fils ? Il n’y avait personne entre ces quatre murs.

— Il y avait M. Fauville.