Page:Leblanc - Les Dents du Tigre, paru dans Le Journal, du 31 août au 30 octobre 1920.djvu/355

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— Un ami, un ami malheureux et dont j’avais pitié, affirma-t-elle. Aujourd’hui, j’ai du mal à comprendre ma pitié pour un tel monstre. Mais il y a quelques années, quand je le connus, c’est pour sa faiblesse, pour sa misère physique, pour tous les symptômes de mort prochaine qui déjà le marquaient, c’est pour cela que je m’attachai à lui. Il eut l’occasion de me rendre quelques services, et bien qu’il vécût une vie cachée, qui me troublait par certains côtés, il prit peu à peu sur moi, et à mon insu, beaucoup d’empire. J’avais foi dans son dévouement absolu, et lorsque l’affaire Mornington éclata, ce fut lui qui, je m’en rends compte maintenant, me dirigea et, plus tard, dirigea Gaston Sauverand. Ce fut lui qui me contraignit au mensonge et à la comédie, en me persuadant qu’il travaillait pour le salut de Marie-Anne. Ce fut lui qui nous inspira contre vous tant de défiance, et qui nous habitua si bien à garder le silence sur lui et sur tous ses actes, que Gaston Sauverand, dans son entrevue avec vous, n’osa même pas parler de lui. Comment ai-je pu être aveugle à ce point, je l’ignore. Mais il en fut ainsi. Rien ne m’a éclairée. Rien n’a pu faire que je soupçonne un instant cet être inoffensif, malade, qui passait la moitié de sa vie dans les maisons de santé et dans les cliniques, qui a subi toutes les opérations possibles, et qui, s’il me parlait quelquefois de son amour, ne pouvait cependant espérer…