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LA LAIDE


À Paul Bourget.

Elle était laide et le savait.

Son père s’amusait à l’en plaisanter :

— Ma pauvre fille, tu ne nous fais pas honneur !

Sa mère, silencieuse, la contemplait avec tristesse, ce qui chagrinait l’enfant plus que les moqueries du père.

Elle s’en plaignit une seule fois :

— Je t’en supplie, maman, ris quand tu me regardes !

Son visage cependant n’offrait rien d’anormal et, à détailler ses traits, on ne comprenait point l’impression ressentie. Mais l’ensemble était laid. De jolies choses peuvent former un vilain tout.

Elle remarquait certaines de ses compagnes aux têtes mignonnes et aux manières avenantes. On admirait leur gentillesse. Elle, jamais, ne recueillit de flatterie. Cette comparaison acheva de la renseigner sur sa disgrâce.

L’âge venant, elle prit conscience des menus agréments qui suppléent à l’absolue perfection, et elle demandait à son miroir si nul symptôme n’en indiquait le développement prochain. Mais les miroirs sont cruels, et chaque consultation lui enlevait un peu d’espérance.