Page:Leblanc - Les Huit Coups de l’horloge, paru dans Excelsior, 1922-1923.djvu/13

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réussis pas à vous intéresser. Mais si vous me suivez jusqu’au bout, si vous me permettez de commencer et d’achever avec vous la huitième entreprise, dans trois mois, le 5 décembre, à l’instant même où le huitième coup de cette horloge sonnera — et il sonnera, soyez-en sûre, car le vieux balancier de cuivre ne s’arrêtera plus dans sa course — vous serez tenue de m’accorder…

— Quoi ? répéta-t-elle, un peu crispée par l’attente.

Il se tut. Il regardait les jolies lèvres qu’il voulait demander comme récompense, et il fut tellement sûr que la jeune femme avait compris, qu’il jugea inutile de parler de façon plus claire.

— La seule joie de vous voir me suffira… Ce n’est pas à moi, mais à vous de poser des conditions. Quelles sont-elles ? Qu’exigez-vous ?

Elle lui sut gré de son respect et répondit en riant :

— Ce que j’exige ?…

— Oui.

— Je puis exiger n’importe quoi de difficile ?

— Tout est facile à qui veut vous conquérir.

— Et si ma demande est impossible ?

— Il n’y a que l’impossible qui m’intéresse.

Alors elle dit :

— J’exige que vous me rendiez une agrafe de corsage ancienne, composée d’une cornaline sertie dans une monture de filigrane. Elle me venait de ma mère qui la tenait de la sienne, et tout le monde savait qu’elle leur avait porté bonheur et qu’elle me portait bonheur. Depuis qu’elle a disparu du coffret où elle était enfermée, je suis malheureuse. Rendez-la-moi, monsieur le bon génie.

— Quand vous a-t-elle été volée, cette agrafe ?

Elle eut un accès de gaieté :

— Il y a sept ans… ou huit ans… ou neuf ans, je ne sais pas trop… Je ne sais pas où… Je ne sais pas comment… Je ne sais rien…

— Je la retrouverai, affirma Rénine, et vous serez heureuse.



II

La carafe d’eau


Quatre jours après son installation à Paris, Hortense Daniel accepta de rencontrer, au Bois, le prince Rénine. Par une matinée radieuse, ils s’assirent à la terrasse du restaurant Impérial, un peu à l’écart.

La jeune femme était heureuse de vivre, enjouée, pleine de grâce et de séduction. Par peur de l’effaroucher, Rénine se garda bien de faire allusion au pacte qu’il avait proposé. Elle raconta son départ de La Marèze et affirma qu’elle n’avait pas entendu parler de Rossigny.

— Moi, dit Rénine, j’ai entendu parler de lui.

— Ah !

— Oui, il m’a envoyé ses témoins. Duel ce matin. Piqûre à l’épaule de Rossigny. Affaire liquidée. Causons d’autre chose.

Il ne fut plus question de Rossigny. Tout de suite, Rénine exposa à Hortense le plan de deux expéditions qu’il avait en vue et auxquelles il lui offrait, sans enthousiasme, de participer.

— La meilleure aventure, dit-il, c’est celle qu’on ne prévoit pas. Elle surgit à l’improviste, sans que rien l’ait annoncée et sans que personne même, sauf les initiés, remarque cette occasion d’agir et de se dépenser qui passe à la portée de la main. Il faut la saisir tout de suite. Une seconde d’hésitation et il est trop tard. Un sens spécial nous avertit, un flair de chien de chasse qui démêle la bonne odeur parmi toutes celles qui s’entrecroisent.

Autour d’eux, la terrasse commençait à se remplir. À la table voisine, un jeune homme dont ils apercevaient le profil insignifiant et la longue moustache brune, lisait un journal. En arrière, par une des fenêtres du restaurant, il arrivait une rumeur lointaine d’orchestre ; dans un des salons, quelques personnes dansaient.

Toutes ces personnes, Hortense les observait une à une, comme si elle eût espéré découvrir en l’une d’elles le petit signe qui révèle le drame intime, la destinée malheureuse ou la vocation criminelle.

Or, comme Rénine réglait les consommations, le jeune homme à la longue moustache étouffa un cri, et appela un des garçons d’une voix étranglée.

— Combien vous dois-je ?… Vous n’avez pas de monnaie ? Ah ! bon Dieu, hâtez-vous !…

Sans hésiter, Rénine avait saisi le journal. Après un coup d’œil rapide il lut à demi-voix :

« Me Dourdens, le défenseur de Jacques Aubrieux, a été reçu à l’Élysée. Nous croyons savoir que le président de la République a refusé la grâce du condamné et que l’exécution aura lieu demain matin. »

Lorsque le jeune homme eut traversé la terrasse, il se trouva sous le porche du jardin, en face d’un monsieur et d’une dame qui lui barraient le passage, et le monsieur lui dit :

— Excusez-moi, monsieur, mais j’ai surpris votre émotion. Il s’agit de Jacques Aubrieux, n’est-ce pas ?