Page:Leblanc - Les Huit Coups de l’horloge, paru dans Excelsior, 1922-1923.djvu/25

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— Oui, la clef, dit-il, elle m’a échappé des mains…

Elle le rejoignit et se mit à chercher également. Durant deux ou trois minutes, ayant obliqué vers la droite et restant en contrebas du talus, ils disparurent aux yeux d’Hortense et de Rénine. Le bruit d’une querelle qui s’était élevée plus loin, entre les joueurs de bridge, couvrait leurs voix.

Ils se redressèrent presque en même temps. Mme d’Imbleval remonta lentement quelques marches de l’escalier et s’arrêta, tournée du côté de la mer. Lui, il avait jeté sa veste sur ses épaules et s’en allait vers la cabine isolée. Mais, en route, les joueurs de bridge le prirent à témoin en lui montrant leurs cartes étalées sur la table. D’un geste, il refusa de donner son avis, et puis s’éloigna, franchit les quarante pas qui le séparaient de sa cabine, ouvrit et entra.

Thérèse d’Imbleval regagna la terrasse et resta durant dix minutes assise sur un banc. Ensuite, elle sortit du casino. En se penchant, Hortense la vit qui pénétrait dans un des chalets qui forment l’annexe de l’hôtel Hauville, et elle la revit un instant plus tard au balcon de ce chalet.

— Onze heures, dit Rénine. Que ce soit elle ou lui, ou l’un des joueurs, ou l’une des compagnes de ces joueurs, ou n’importe qui, il ne se passera plus beaucoup de temps avant que quelqu’un ne s’en aille au rendez-vous.

Il se passa tout de même vingt minutes, puis vingt-cinq, et personne ne bougeait.

Mme d’Imbleval y est peut-être partie, insinua Hortense qui devenait nerveuse. Elle n’est plus sur son balcon.

— Si elle est aux Trois-Mathildes, fit Rénine, nous allons l’y surprendre.

Il se levait, lorsqu’une nouvelle dispute surexcita les joueurs, et l’un d’eux s’exclama :

— Consultons d’Imbleval.

— Soit, dit un autre. J’accepte… Si toutefois il veut bien nous servir d’arbitre. Il était maussade, tout à l’heure.

On l’appela :

— D’Imbleval ! D’Imbleval !

Ils remarquèrent alors que d’Imbleval avait dû refermer sur lui le battant de la porte, ce qui le maintenait dans une demi-obscurité, ces sortes de cabines n’ayant pas de fenêtre.

— Il dort, cria-t-on. Réveillons-le.

Tous quatre se rendirent là-bas, commencèrent par l’appeler et, ne recevant pas de réponse, cognèrent à la porte.

— Eh bien ! quoi, d’Imbleval, vous dormez ?

Sur la terrasse, Serge Rénine s’était levé soudain, d’un air si inquiet qu’Hortense en fut surprise. Il mâchonna :

— Pourvu qu’il ne soit pas trop tard !

Et comme Hortense l’interrogeait, il dégringola l’escalier et se mit à courir jusqu’à la cabine. Il y arriva au moment où les joueurs essayaient d’ébranler la porte.

— Halte ! commanda-t-il. Les choses doivent être faites régulièrement.

— Quelles choses ? lui demanda-t-on.

Il examina les persiennes qui surmontaient chacun des battants et, s’avisant qu’une des lamelles supérieures était à moitié brisée, il se suspendit tant bien que mal au toit de la cabine et jeta un coup d’œil à l’intérieur.

On l’interrogea vivement.

— Qu’y a-t-il ? Vous pouvez voir ?

Il se retourna et dit aux quatre messieurs :

— Je pensais bien que si M. d’Imbleval ne répondait pas, c’est qu’un événement grave l’en empêchait.

— Un événement grave ?

— Oui, il y a tout lieu de penser que M. d’Imbleval est blessé… ou mort.

— Comment, mort ! s’écria-t-on. Il vient de nous quitter.

Rénine sortit son couteau, fit jouer la serrure, et ouvrit les deux battants.

Il y eut des cris de terreur. M. d’Imbleval gisait sur le plancher, à plat ventre, les deux mains crispées à son veston et à son journal. Du sang coulait de son dos et rougissait sa chemise.

— Ah ! fit quelqu’un, il s’est tué.

— Comment se serait-il tué ? dit Rénine. La blessure est au plein milieu du dos, à un endroit où la main ne peut atteindre. Et puis, d’ailleurs, il n’y a pas d’arme dans la cabine.

Les joueurs protestèrent.

— Un crime, alors ? Mais c’est impossible. Personne n’est venu. Nous aurions bien vu… Personne ne pouvait passer sans que nous voyions…

Les autres messieurs, toutes les dames et les enfants qui jouaient au bord de l’eau étaient accourus. Rénine défendit l’approche de la cabine. Il y avait là un docteur : lui seul entra. Mais il ne put que constater la mort de M. d’Imbleval, mort provoquée par un coup de poignard.

À ce moment, le maire et le garde champêtre arrivèrent avec des gens du pays. Les constatations d’usage furent faites et l’on emporta le cadavre.

Quelques personnes étaient parties afin de prévenir Thérèse d’Imbleval que l’on apercevait de nouveau sur son balcon.