Page:Leblanc - Les Huit Coups de l’horloge, paru dans Excelsior, 1922-1923.djvu/29

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ces du crime ! Qu’importe ce qu’on a vu ou ce qu’on n’a pas vu ! L’essentiel, c’est la preuve… C’est le fait que le poignard est là, dans ton sac, Thérèse. Oui, oui, c’est toi !… tu l’as tué ! Tu as fini par le tuer ! Ah ! que de fois je l’ai dit à mon frère : « Elle le tuera ! » Frédéric essayait de te défendre, Frédéric a toujours eu un faible pour toi. Mais, au fond, il prévoyait l’événement… Et voilà que la chose atroce est accomplie ! Un coup de poignard dans le dos. Lâche ! Lâche !… Et je ne dirais rien ? Mais je n’ai pas hésité une seconde !… Frédéric non plus ! Tout de suite, nous avons cherché des preuves… Et c’est avec toute ma raison et avec toute ma volonté que je vais te dénoncer… Et c’est fini, Thérèse. Tu es perdue. Rien ne peut plus te sauver. Le poignard est dans ce sac autour duquel ta main se crispe. Le juge va revenir, et on l’y trouvera, taché du sang de ton mari… Et on y trouvera aussi son portefeuille. Ils y sont. On les trouvera…

Une telle rage l’exaspérait, qu’elle ne put continuer et qu’elle demeura le bras tendu et le menton agité de convulsions nerveuses.

Rénine saisit doucement le sac de Thérèse d’Imbleval. La jeune femme s’y cramponna. Mais il insista et lui dit :

— Laissez-moi faire, madame. Votre amie Germaine a raison. Le juge d’instruction va venir, et le fait que le poignard est entre vos mains provoquera votre arrestation immédiate. Il ne faut pas qu’il en soit ainsi. Laissez-moi faire.

Sa voix insinuante amollissait la résistance de Thérèse. Un à un ses doigts se dénouèrent. Il prit le sac, l’ouvrit, en sortit un petit poignard à manche d’ébène et un portefeuille de maroquin gris, et paisiblement, mit les deux objets dans la poche intérieure de son veston.

Germaine Astaing le regardait avec stupeur.

— Vous êtes fou, monsieur ! De quel droit ?…

— Ce sont des objets qu’il ne faut pas laisser traîner. Comme ça je suis tranquille. Le juge n’ira pas les chercher dans ma poche.

— Mais je vous dénoncerai, monsieur ! fit-elle indignée. La justice sera avertie.

— Mais non, mais non, fit-il en riant, vous ne direz rien ! La justice n’a rien à voir là-dedans. Le conflit qui vous divise doit être réglé entre vous deux. Quelle idée de mêler la justice à tous les incidents de la vie !

Mme Astaing était suffoquée.

— Mais vous n’avez aucun titre pour parler ainsi, monsieur ! Qui donc êtes-vous ? Un ami de cette femme ?

— Depuis que vous l’attaquez, oui.

— Mais si je l’attaque, c’est qu’elle est coupable. Car vous ne pouvez pas le nier… elle a tué son mari…

— Je ne le nie pas, déclara Rénine, d’un air calme. Nous sommes tous d’accord sur ce point. Jacques d’Imbleval a été tué par sa femme. Mais, je le répète, la justice ne doit pas connaître la vérité.

— Elle la saura par moi, monsieur, je vous le jure. Il faut que cette femme soit punie… elle a tué.

Rénine s’approcha d’elle, et, lui touchant l’épaule :

— Vous me demandiez tout à l’heure à quel titre j’intervenais. Et vous, madame ?

— J’étais l’amie de Jacques d’Imbleval.

— L’amie seulement ?

Elle fut un peu décontenancée, mais se redressa aussitôt et reprit :

— J’étais son amie, et mon devoir est de le venger.

— Vous garderez le silence, cependant, comme il l’a gardé.

— Il n’a pas su, lui, avant de mourir.

— C’est ce qui vous trompe. Il aurait pu accuser sa femme, il a eu tout le temps de l’accuser, et il n’a rien dit.

— Pourquoi ?

— À cause de ses enfants.

Mme Astaing ne désarmait pas, et son attitude marquait la même volonté de vengeance et la même exécration. Mais, malgré tout, elle subissait l’influence de Rénine. Dans la petite pièce close où tant de haine s’entrechoquait, il devenait peu à peu le maître, et Germaine Astaing comprenait que c’était contre lui qu’il fallait lutter, de même que Mme d’Imbleval sentait tout le réconfort de cet appui inattendu qui s’offrait au bord de l’abîme.

— Je vous remercie, monsieur, dit Thérèse. Puisque vous avez vu clair dans tout cela, vous savez aussi que c’est pour mes enfants que je ne me suis pas livrée à la justice. Sans quoi, je suis si lasse !…

Ainsi la scène changeait et les choses prenaient un aspect différent. Grâce à quelques mots jetés dans le débat, il arrivait que la coupable redressait la tête et se rassurait, tandis que l’accusatrice hésitait et semblait inquiète. Et il arrivait que celle-ci n’osait plus parler, et que l’autre touchait à cet instant où l’on éprouve le besoin de sortir du silence pour prononcer tout naturellement les paroles qui avouent et qui soulagent.

— Maintenant, lui dit Rénine avec la même douceur, je crois que vous pouvez et que vous devez vous expliquer.

— Oui… oui… je le crois également, dit-elle… Je dois répondre à cette femme… La vérité toute simple, n’est-ce pas ?…