Page:Leblanc - Les Huit Coups de l’horloge, paru dans Excelsior, 1922-1923.djvu/41

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rée par un sentiment dont Hortense devinait, en frémissant, toute la force et toute l’ardeur.

— Mon Dieu, murmura-t-elle, comme elle l’aime ! Et un pareil individu, est-ce possible ?

— Il faut la prévenir, dit Rénine et se concerter avec elle…

— Oui, oui, fit Hortense, à aucun prix il ne faut qu’elle soit mêlée au scandale, à l’arrestation… Qu’elle s’en aille ! Qu’on ne sache rien de tout cela…

Par malheur, Hortense se trouvait dans un tel état de surexcitation qu’elle agit avec trop de hâte. Au lieu de cogner doucement à la vitre, elle heurta la fenêtre en frappant sur le bois à coups de poing. Effrayés, les deux amoureux se levèrent, les yeux fixes, l’oreille tendue. Aussitôt Rénine voulut couper un carreau afin de leur jeter quelques mots d’explication. Mais il n’en eut pas le temps. Rose-Andrée qui, sans doute, savait son amant en péril et recherché par la police, le poussa vers la porte d’un effort désespéré.

Dalbrèque obéit. L’intention de Rose était certainement de le contraindre à fuir en utilisant l’issue de la cuisine. Ils disparurent.

Rénine vit clairement ce qui allait se passer. Le fugitif tomberait dans l’embuscade que lui-même, Rénine, avait préparée. Il y aurait bataille, mort d’homme peut-être…

Il sauta à terre et fit en courant le tour de la maison. Mais le trajet était long, le chemin obscur et encombré. D’autre part, les événements s’enchaînèrent plus vite qu’il ne le supposait. Quand il déboucha sur l’autre façade, un coup de feu retentit, suivi d’un cri de douleur.

Au seuil de la cuisine, à la lueur de deux lampes de poche, Rénine trouva Dalbrèque étendu, maintenu par trois policiers, et gémissant. Il avait la jambe cassée.

Dans la pièce, Rose-Andrée, titubant, les mains en avant, le visage convulsé, bégayait des mots que l’on n’entendait point. Hortense l’attira contre elle et lui dit à l’oreille :

— C’est moi… ta sœur… je voulais te sauver… Tu me reconnais ?

Rose semblait ne pas comprendre. Ses yeux étaient hagards.

Elle marcha, d’un pas saccadé, vers les inspecteurs et commença :

— C’est abominable… L’homme qui est là n’a rien fait qui…

Rénine n’hésita pas. Agissant avec elle comme avec une malade qui n’a plus sa raison, il la saisit entre ses bras et, suivi d’Hortense, qui refermait les portes, la ramena dans le salon.

Elle se débattait furieusement, et protestait d’une voix haletante :

— C’est un crime… On n’a pas le droit ?… Pourquoi l’arrêter ? Oui, j’ai lu le meurtre du bijoutier Bourguet… j’ai lu cela ce matin dans le journal, mais c’est un mensonge. Il peut le prouver.

Rénine la déposa sur le divan, et avec fermeté :

— Je vous en prie, du calme. Ne dites rien qui puisse vous compromettre… Que voulez-vous ! cet homme a tout de même volé… l’automobile… les 25,000 francs…

— Mon départ pour l’Amérique l’avait affolé. Mais l’auto a été retrouvée… L’argent sera rendu… il n’y a pas touché. Non, non, on n’a pas le droit… J’étais ici de mon plein gré. Je l’aime… je l’aime plus que tout… comme on n’aime qu’une fois dans sa vie… Je l’aime… je l’aime.

La malheureuse n’avait plus de force. Elle parlait comme dans un rêve, affirmait son amour d’une voix qui s’éteignait. À la fin, épuisée, elle eut un brusque sursaut et se renversa. Elle était évanouie.

Une heure plus tard, étendu sur le lit d’une chambre, Dalbrèque, les poignets solidement attachés, roulait des yeux féroces. Un médecin des environs, ramené par l’auto de Rénine, avait bandé la jambe et prescrit le repos le plus complet jusqu’au lendemain. Morisseau et ses hommes montaient la garde.

Quant à Rénine, il allait et venait à travers la pièce, les mains au dos. Il avait l’air fort gai et, de temps en temps, observait les deux sœurs en souriant, comme s’il eût trouvé charmant le tableau qu’elles offraient à ses yeux d’artiste.

— Qu’y a-t-il donc ? lui demanda Hortense, lorsqu’elle s’aperçut de son allégresse insolite et qu’elle se fut à moitié tournée vers lui.

Il se frotta les mains et prononça :

— C’est très drôle.

— Qu’est-ce qui vous paraît drôle ? dit Hortense d’un ton de reproche.

— Eh mon Dieu, la situation. Rose-Andrée libre, filant le parfait amour, et avec qui, Seigneur ? Avec l’homme des bois, un homme des bois domestiqué, pommadé, moulé dans un maillot, et qu’elle baise à bouche que veux-tu… tandis que nous la cherchions au fond d’une grotte ou d’un sépulcre.