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avait placée près d’elle, et qui lui était toute dévouée. Cette femme raconta que sa maîtresse était sortie à deux heures, une lettre timbrée à la main, en disant qu’elle allait à la poste et qu’elle rentrerait pour s’habiller. Depuis, aucune nouvelle.

— Cette lettre était adressée à qui ?

— À monsieur. J’ai vu l’inscription : Prince Rénine.

Il attendit jusqu’à minuit. Vainement. Hortense ne revint pas, et elle ne revint pas non plus le lendemain.

— Pas un mot là-dessus, ordonna Rénine à la femme de chambre. Vous direz que votre maîtresse est à la campagne et que vous allez la rejoindre.

Pour lui, il ne doutait pas. La disparition d’Hortense s’expliquait par la date même du 18 octobre. Hortense était la septième victime de la Dame à la Hache.

« L’enlèvement, se dit Rénine, précède le coup de hache de huit jours. J’ai donc, à l’heure actuelle, sept jours pleins devant moi. Mettons six, pour éviter toute surprise. Nous sommes aujourd’hui un samedi : il faut que vendredi prochain, à midi, Hortense soit libre, et pour cela que je connaisse sa retraite, au plus tard, jeudi soir, neuf heures. »

Rénine inscrivit en gros caractères : jeudi soir NEUF HEURES sur une pancarte qu’il cloua au-dessus de la cheminée de son cabinet de travail. Puis le samedi, à midi, lendemain de la disparition, il s’enferma dans cette pièce après avoir donné l’ordre à son domestique de ne le déranger qu’aux heures des repas ou des courriers.


Il resta là quatre jours, sans bouger presque. Tout de suite, il avait fait venir une collection de tous les journaux importants qui avaient parlé avec détails des six premiers crimes. Quand il les eut lus et relus, il ferma les volets et les rideaux, et, sans lumière, le verrou tiré, étendu sur un divan, il réfléchit.

Le mardi soir, il n’était pas plus avancé qu’à la première heure. Les ténèbres demeuraient aussi épaisses. Il n’avait pas trouvé le moindre fil susceptible de le conduire ni entrevu la moindre raison qui lui permît d’espérer.

Parfois, malgré son immense pouvoir de contrôle sur lui-même, et malgré sa confiance illimitée dans les ressources dont il disposait, parfois il tressaillait d’angoisse. Arriverait-il à temps ? Il n’y avait pas de motif pour que, dans les derniers jours, il vît plus clair que durant les jours qui venaient de s’écouler. Et alors c’était le meurtre inévitable de la jeune femme.

Cette idée le torturait. Il était attaché à Hortense par un sentiment beaucoup plus violent et plus profond que l’apparence de leurs relations ne le laissait croire. La curiosité du début, le désir initial, le besoin de protéger la jeune femme, de la distraire et de lui donner le goût de l’existence étaient devenus tout simplement de l’amour. Ni l’un ni l’autre ne s’en rendait compte, parce qu’ils ne se voyaient guère qu’en des heures de crise où c’était l’aventure des autres et non la leur qui les préoccupait. Mais, au premier choc du danger, Rénine s’aperçut de la place qu’Hortense avait prise dans sa vie, et il se désespérait de la savoir captive et martyrisée et d’être impuissant à la sauver.

Il passa une nuit d’agitation et de fièvre, tournant et retournant l’affaire en tous sens. La matinée du mercredi fut également affreuse pour lui. Il perdait pied. Renonçant à la claustration, il avait ouvert les fenêtres, allait et venait dans son appartement, sortait sur le boulevard et rentrait, comme s’il eût fui devant l’idée qui l’obsédait !

— Hortense souffre… Hortense est au fond de l’abîme… Elle voit la hache… Elle m’appelle… Elle me supplie… Et je ne peux rien…

C’est à cinq heures de l’après-midi, qu’en examinant la liste des six noms il eut ce petit choc intérieur qui est comme le signal de la vérité que l’on cherche. Une lueur jaillit dans son esprit. Ce n’était certes pas la grande lueur où tous les points apparaissent, mais cela lui suffisait pour savoir dans quel sens il fallait se diriger.

Tout de suite son plan de campagne fut fait. Par son chauffeur Clément, il envoya aux principaux journaux une petite note qui devait passer en gros caractères dans les annonces du lendemain. Clément eut en outre comme mission d’aller à la blanchisserie de Courbevoie où jadis était employée Mlle Covereau, la deuxième des six victimes.

Le jeudi, Rénine ne bougea pas. L’après-midi, plusieurs lettres, provoquées par son annonce, lui arrivèrent. Puis, il y eut deux télégrammes. Mais il ne sembla point que ces lettres et télégrammes répondissent à ce qu’il attendait. Enfin, à trois heures, il reçut, timbré du Trocadéro, un petit bleu qui parut le satisfaire. Il le tourna et retourna, étudia l’écriture, feuilleta sa collection de journaux et conclut à demi-voix :

— Je crois qu’on peut marcher dans cette direction.

Il consulta un Tout-Paris, nota cette adresse : M. de Lourtier-Vaneau, ancien gouverneur des colonies, avenue Kléber, 47 bis, et courut jusqu’à son automobile.

— Clément, avenue Kléber, 47 bis.