Page:Leblanc - Les Huit Coups de l’horloge, paru dans Excelsior, 1922-1923.djvu/81

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réussi tous les deux, et comment, maîtres du talisman, croyant à sa vertu et confiants en vous-mêmes, vous vous êtes poussés au premier rang de marchands de bric-à-brac. Aujourd’hui, riches, propriétaires du magasin « Au dieu Mercure », vous attribuez le succès de vos entreprises à cette agrafe de corsage. La perdre, pour vous, ce serait la ruine et la misère. Toute votre vie est concentrée en elle. C’est le fétiche. C’est le petit dieu domestique qui protège et qui conseille. Il est là, quelque part, caché sous le fouillis, et personne évidemment n’aurait rien soupçonné (car, je le répète, sauf cette erreur, vous êtes de braves gens) si le hasard ne m’avait conduit à m’occuper de vos affaires. »

Rénine fit une pause et reprit :

— Il y a deux mois de cela. Deux mois d’investigations minutieuses, qui m’étaient faciles puisque, ayant retrouvé votre piste, j’avais loué l’entresol et que je pouvais utiliser cet escalier… mais tout de même, deux mois perdus jusqu’à un certain point, puisque je n’ai pas encore réussi. Et Dieu sait si je l’ai bouleversé, votre magasin ! Pas un meuble qui n’ait été visité. Pas une lame de parquet qui n’ait été interrogée. Résultat nul. Si, pourtant, quelque chose, une découverte accessoire. Dans un casier secret de votre bureau, Pancardi, j’ai déniché un petit registre où vous avez conté vos remords, vos inquiétudes, votre peur du châtiment, votre crainte de la colère divine.

» Grosse imprudence, Pancardi ! Est-ce qu’on écrit de tels aveux ! Et surtout est-ce qu’on les laisse traîner ! Quoi qu’il en soit, je les ai lus, et j’y ai relevé cette phrase, dont l’importance ne m’a pas échappé, et qui m’a servi à préparer mon plan d’attaque :

« — Qu’elle vienne à moi celle que j’ai dépossédée, qu’elle vienne à moi telle que je la voyais dans son jardin, tandis que Lucienne prenait le bijou ! Qu’elle m’apparaisse, vêtue de la robe bleue, coiffée de la toque de feuillage roux, avec le collier de jais et la cravache aux trois baguettes de jonc tressées qu’elle portait ce jour-là !… Qu’elle m’apparaisse ainsi et qu’elle me dise : « Je viens vous réclamer ce qui m’appartient. » Alors je comprendrai que c’est Dieu qui lui inspire cette démarche et que je dois obéir aux ordres de la Providence. »

« Voilà ce qui est écrit dans votre registre, Pancardi, et ce qui explique la démarche de celle que vous appelez Mlle Hortense. Celle-ci, suivant mes instructions, et conformément à la petite mise en scène que vous avez vous-même imaginée, est venue vers vous, du fond du passé — c’est votre propre expression. Un peu plus de sang-froid, et vous savez qu’elle eût gagné la partie. Malheureusement, vous jouez la comédie à merveille, votre tentative de suicide l’a désorientée, et vous avez compris qu’il n’y avait point là un ordre de la Providence, mais simplement une offensive de votre ancienne victime. Je n’avais donc plus qu’à intervenir. Me voici et maintenant, concluons :

« Pancardi, l’agrafe ?

— Non, fit l’antiquaire, à qui l’idée de restituer l’agrafe rendait toute son énergie.

— Et vous, madame Pancardi ?

— Je ne sais pas où elle est, affirma la femme.

— Bien. Alors, passons aux actes. Madame Pancardi, vous avez un fils âgé de sept ans, que vous aimez de tout votre cœur. Aujourd’hui jeudi, comme chaque jeudi d’ailleurs, ce fils doit revenir tout seul de chez sa tante. Deux de mes amis sont postés sur son chemin, et, sauf contre-ordre, l’enlèveront au passage.

Tout de suite, Mme Pancardi s’affola.

— Mon fils ! oh ! je vous en prie… non, pas cela… je vous jure que je ne sais rien. Mon mari n’a jamais voulu se confier à moi.

Rénine continua :

— Deuxième point : dès ce soir, une plainte sera déposée au parquet. Comme preuve, les aveux du registre. Conséquences : action judiciaire, perquisition, etc.

Pancardi se taisait. On avait l’impression que toutes ces menaces ne l’atteignaient pas et que, protégé par son fétiche, il se croyait invulnérable. Mais sa femme se jeta aux pieds de Rénine en bégayant :

— Non… non… je vous en supplie, ce serait la prison, je ne veux pas… Et puis, mon fils… oh ! je vous en supplie…

Hortense, apitoyée, prit Rénine à part.

— La pauvre femme ! j’intercède pour elle.

— Tranquillisez-vous, dit-il en riant, il n’arrivera rien à son fils.

— Mais vos amis sont postés ?…

— Pure invention.

— Cette plainte au parquet ?

— Simple menace.

— Que cherchez-vous donc ?…

— À les effarer, à les faire sortir d’eux-mêmes, dans l’espoir qu’un mot leur échappera, un mot qui me renseignera. Nous avons essayé tous les moyens. Celui-là seul nous reste, et c’est un moyen qui me réussit presque toujours, rappelez-vous nos aventures.

— Mais si le mot que vous attendez n’est pas prononcé ?

— Il faut qu’il le soit, dit Rénine d’une voix sourde. Il faut en finir. L’heure approche.