Page:Leblanc - Les Milliards d'Arsène Lupin, paru dans L'Auto, 1939.djvu/115

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

les trois chiens de garde se mirent à hurler en sinistre concert de folie. Ils durent rompre leurs chaînes car Horace les entendit galoper comme des bêtes en délire, à travers le parc, se poursuivre entre eux et poursuivre on ne sait quels fantômes déchaînés à travers les arbres et les buissons et jusque dans la cour de la ferme. C’était un vacarme de cauchemar, un tumulte fou, mystérieux et tragique.

On eût dit que le camp retranché que formait le domaine était attaqué par des hordes de cavaliers barbares qui fonçaient sabre au poing parmi la ligne des défenseurs. Horace Velmont s’hallucinait dans l’ombre nocturne, il les devinait, il les voyait brandissant des lames et des torches, donnant la mort et allumant l’incendie… Et toujours ces aboiements furieux, ces cris frénétiques, auxquels se mêlait parfois la plainte effarée de la proie pourchassée… et puis, là-bas, le rugissement rageur de la tigresse.

Horace appela les chefs des escouades de défenseurs. Ils veillaient, mais eux non plus ne comprenaient rien à ce qui se passait.

Ils avaient tenté une sortie, mais dans la nuit noire et sous la pluie diluvienne n’avaient pu aller loin et du reste n’avaient rien vu… Et un vent de folie continuait à balayer les jardins, évoquant dans sa véhémence insolite le maléfique passage du Chasseur damné des anciennes légendes.

L’aube calma peu à peu la tourmente… Les chiens bondissaient encore par élans désordonnés et comme impulsifs. L’orage s’était apaisé, les averses denses s’étaient atténuées en une pluie hésitante et délicate, qui semblait avoir pour mission d’arroser le champ de bataille. Et le jour s’affirma, dissipant les cauchemars, pacifiant les gens et les bêtes. Les chiens grondaient encore mais sans conviction, en quelque sorte avec réserve, inquiets sur la distribution inévitable de coups de fouet, qui suivrait leur démence de la nuit… Elle leur fut faite généreusement par le maître lui-même qui passa sur eux ses nerfs exaspérés.


« Et tout ça, pourquoi ? disait-il. Pour quel monstre antédiluvien ? Pour quel dragon volant ? Pour quelle chimère apocalyptique ?… Bigre ! que vois-je ? »

C’était un caniche, un caniche agonisant, à la tête écrasée, au ventre béant, dont les pattes encore tressaillantes comme des branches au souf-