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LES TROIS YEUX
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geroux. Et cette inauguration aura lieu sous la ferme direction de celui qui sera, qui est déjà le maître du secret, un rude homme, avouons-le… »

Raisonnement d’une logique rigoureuse. Un bijou volé se revend en cachette. L’argent circule anonymement. Mais une découverte ne rapporte que si on la met en valeur.

En attendant, les jours s’écoulaient et personne ne sortait de l’ombre. Les deux complices ne donnaient pas signe de vie. On savait maintenant que le sieur Velmot, l’homme au lorgnon, avait exercé toutes sortes de métiers. Des industriels de Paris, pour lesquels il avait voyagé en province, donnèrent son signalement exact. On apprit sur lui beaucoup de choses, mais aucune qui permit de lui mettre la main au collet.

Le classement des papiers de Noël Dorgeroux ne fournit pas non plus la moindre indication. On y trouva seulement une enveloppe cachetée à la cire, sans adresse, que l’on ouvrit, et dont le contenu ne laissa pas de me surprendre. C’était un testament, daté de cinq années, par lequel Noël Dorgeroux, tout en me choisissant comme légataire universel, faisait don à sa filleule Bérangère Massignac, du terrain de l’Enclos et de tout ce que contiendrait cet Enclos au jour de sa mort. En dehors de ce papier, sans importance puisque mon oncle, dans une de ses dernières lettres, m’exprimait des intentions contraires, on ne recueillit que des notes insignifiantes qui ne concernaient pas le fameux secret. Là-dessus, on se perdait en conjectures, et on errait dans des ténèbres que les chimistes assermentés eux-mêmes, conviés à l’examen de l’écran, ne réussirent pas à dissiper. Le mur n’offrait rien de particulier, la couche de plâtre qui le recouvrait n’ayant pas reçu l’enduit spécial dont la formule constituait justement le secret de Noël Dorgeroux.

Cet enduit n’existait-il pas sur la vieille chapelle du cimetière, où j’avais vu apparaître la figure géométrique des Trois Yeux ? De fait, on constata bien quelque chose à la surface des morceaux de plâtre prélevés à cet endroit. Mais, avec ce quelque chose, on ne parvint pas à produire une substance capable d’amener la moindre vision. La bonne formule, évidemment, manquait, et sans doute aussi, quelque ingrédient essentiel que la pluie ou le soleil avait déjà volatilisé.

À la fin d’avril, il n’y avait pas de raison pour que l’on pût croire aux prédictions qui annonçaient l’inéluctable coup de théâtre. Et la curiosité du public s’accroissait de chaque déception et de chaque jour nouveau passé dans l’attente. L’Enclos de Noël Dorgeroux était devenu un lieu de pèlerinage. Automobiles et voitures arrivaient en nombre. On se pressait devant les grilles closes et les palissades. On tâchait de voir le mur. Je reçus même des lettres où l’on me proposait d’acheter l’Enclos à tel prix qui me conviendrait.

Un matin, la vieille Valentine introduisit dans le salon un monsieur, venu, disait-il, pour affaires importantes. Je vis un homme grisonnant, de taille moyenne, dont la figure plus large que haute était encore élargie par des favoris hirsutes et un sourire permanent. Son costume râpé et ses chaussures éculées révélaient une situation de fortune peu brillante. Mais, tout de suite, il s’exprima en personnage que les considérations d’argent ne sauraient arrêter.

— J’ai de gros capitaux derrière moi, affirma-t-il d’un air joyeux, et avant même de me dire son nom. Mes plans sont dressés. Il ne nous reste plus qu’à tomber d’accord.

— Sur quoi ? demandai-je.

— Mais justement sur l’affaire que je viens vous proposer.

Je ripostai sèchement.

— Tous mes regrets, monsieur, mais je ne fais pas d’affaires.

— Dommage ! s’écria-t-il, de plus en plus joyeux et la bouche de plus en