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VICTOR, DE LA BRIGADE MONDAINE

s’amusant de tout et n’ayant peur de rien, toujours prête à rire et à chanter… Et puis, plus tard, dans tout ce bonheur, comme j’étais une fiancée de quinze ans, le malheur est venu, d’un coup, ainsi qu’une rafale. On a égorgé mon père et ma mère, sous mes yeux ; on a torturé mes frères et mon fiancé… tandis que moi »

Elle passa sa main sur son front :

« Ne parlons pas de cela… Je ne veux pas me rappeler… Je ne me rappelle pas… Mais je n’ai jamais pu me remettre. En apparence, oui, mais au fond de moi j’ignore le calme. Est-ce que je pourrais le supporter d’ailleurs ? Non, j’ai pris le goût de l’agitation et de l’angoisse…

— C’est-à-dire, fit-il, qu’en souvenir d’un passé qui vous épouvante, vous avez besoin de sensations fortes. Alors, si le hasard met sur votre route un monsieur… pas très catholique… un monsieur un peu en dehors des règles, il éveille votre curiosité. C’est tout naturel.

— C’est tout naturel ?

— Oh ! mon Dieu, oui ! Vous avez couru tant de dangers, et assisté à tant de drames, que cela vous émeut encore de sentir autour de vous une atmosphère de drame… et de causer avec quelqu’un qui, d’un instant à l’autre, peut être menacé… Alors vous épiez sur son visage les symptômes de l’inquiétude ou de la peur, et vous vous étonnez qu’il soit comme un autre, qu’il fume sa cigarette avec plaisir, et qu’il n’y ait pas de trouble dans sa voix. »

Elle l’écoutait avidement et le regardait, penchée sur lui. Il plaisanta :

« Surtout, madame, n’ayez pas trop d’indulgence pour ces sortes d’individus, et ne voyez pas en eux des