Page:Leblanc - Voici des ailes, paru dans Gil Blas, 1897.djvu/12

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mobiles devant Guillaume, qui face à eux, les haranguant d’un ton de bateleur, tendait derrière son dos, au bout de ses bras écartés, une vaste couverture de cheval. Ce rempart improvisé dissimulait une fontaine publique que l’on devinait collée au mur, à l’angle de deux maisons. De là jaillissaient des exclamations et des éclats de rire.

— Encore quelque bêtise de Régine, marmotta Fauvières avec inquiétude.

Guillaume les appelait :

— Vite, vite, elle a besoin de vous.

Ils accoururent, mais Régine protesta :

— On n’entre pas, on n’entre pas, je ne suis pas visible.

Chacun de son côté, ils soulevèrent un coin du voile. Et ils la virent alors, sa veste enlevée, qui se lavait à grande eau dans la cuve de pierre. Les épaules émergeaient de la chemise échancrée. Sur les bras nus, sur le cou, un cygne de bronze versait de l’eau claire et fraîche, et des gouttes se jouaient sur la peau blanche, se croisaient comme de petites bêtes à traînée luisante et, curieuses, se perdaient dans les profondeurs confuses.

— Ah ça ! tu es folle ! s’écria Pascal, furieux.

Elle se releva toute souriante à travers ses cheveux mouillés.

— Pourquoi folle ? J’étais en nage et j’étouffais, et rien n’est sain comme l’eau froide. Après tout, ça vaut n’importe quel cabinet de toilette ici… Merci, Guillaume, vous êtes un amour…

— Allons, Pascal, implora Madeleine en la frictionnant vigoureusement, ne la grondez pas… C’est une petite fille qui ne sait pas ce qu’elle fait, mais qui fait toujours de jolies choses… regardez-la.

Il y avait à l’auberge une charmille touffue. Ils y déjeunèrent. Comme les autres fois, ils s’entretinrent des mêmes sujets, les hommes parlant sport et questions de cercle, les femmes chiffons et potins du monde. Cependant ils n’en causaient plus avec la même gravité, avec cette sorte de conviction qui prouve l’importance unique que l’on attache aux phrases énoncées. Ils bavardaient plutôt pour se soulager en paroles de tout ce qui débordait en eux. Une gaîté jeune les stimulait. Ils retrouvaient leur rire d’enfant, ce rire qui n’a d’autre raison que lui-même.

Pascal en eut la sensation.

— On croirait qu’il y a des mois que nous avons quitté Paris, nous avons perdu contact… nous ne sommes plus du tout parisiens.

— Moi, je ne me reconnais pas, avoua Madeleine, je n’aurais jamais pensé que je consentirais à porter ces horribles culottes et que je m’y trouverais très bien.

— Et moi, fit Régine, moi qui me plonge la tête dans des fontaines publiques et qui me montre, après, sans honte… et dire que ça ne me gêne pas et que je suis tout à fait à l’aise !

— Et se lever à sept heures et être prête à huit ! hein, Régine, une heure pour sa toilette !

— Et se coucher à neuf heures surtout !

— Et transpirer, être sale, avoir la peau cuite par le soleil… jamais d’ombrelle… des gants, pas toujours…

— Et pas de corset, reprit Régine… n’est-ce pas, Madeleine, que je n’ai pas de corset… ton mari prétend que j’en ai un… tenez, je vais vous…

Elle se serait dévêtue si on ne l’en avait empêchée. Il fallut cependant que Guillaume lui palpât les hanches et confessât son erreur.

Madeleine dit simplement :