Page:Leblanc - Voici des ailes, paru dans Gil Blas, 1897.djvu/26

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— C’est assez, n’est-ce pas ?

— Chère Madeleine, je vous aime ainsi, et néanmoins je serais si content de vous voir libre avec moi, tout à fait à l’aise.

Elle n’osa pas résister quand au sortir de l’eau, il lui fit allonger les jambes sous un ardent rayon de soleil qui traversait les arbres.

— Oh ! Pascal, murmura-t-elle, confuse comme une vierge.

Elle se couvrit le visage de ses bras croisés. Lui, s’étendit auprès d’elle et, l’un après l’autre, il lui prit les pieds dans ses mains réconfortantes. Il les frotta rudement, car ils étaient tout froids. Puis, les frôlant de sa bouche tendue, il promena son haleine chaude autour des doigts, autour des talons, autour des chevilles. Et il les sentait tiédir et revivre, comme de petits oiseaux engourdis que des soins ranimeraient. Une goutte d’eau passa. Il la but. Dès lors ses lèvres se posèrent en baisers lents, à peine appuyés, suivant les courbes et tressant sur la peau un voile de caresse et de douceur.

— Pascal, soupira Madeleine, laissez-moi, je vous en prie.

À genoux, il la regarda un moment, les sens exaspérés. Elle ne bougeait pas. Cependant, il s’éloigna.

Ainsi, depuis Coutances, cette vie durait, et elle dura quelques jours sans autre incident que les petits faits énormes et insignifiants par où s’affirmait leur amour. Ils avaient parcouru les merveilleux pays qui bordent la baie de Saint-Michel. Granville, vieux nid de mouettes perché sur un roc, les étonna. Ils chérirent Avranches, cité féerique, reine de l’espace. Et ils entrèrent dans la région convulsée où se cachent les étranges villes de Mortain et de Domfront.

Et c’était une vie incomparable, une vie d’allégresse et d’enthousiasme où s’épanouissait leur amour ainsi qu’une fleur ivre de sève. C’est une vie libre, sans restrictions ni bornes. On a l’impression d’une liberté physique absolue, comme si les sens étaient délivrés d’entraves ignorées, comme si les yeux se mouvaient plus librement dans les orbites et que les oreilles entendissent des sons qui demeurent d’ordinaire imperceptibles. C’est une vie d’êtres surhumains. La merveilleuse sensation ! Voler comme des oiseaux, en silence, dans l’air soumis, voir, comme des dieux, le changement ininterrompu des décors, descendre des plaines dans les vallées, grimper le long des collines, rouler de ville en ville, suivre les fleuves, franchir les forêts, et tout cela par la toute-puissance de ses muscles, le fonctionnement normal de ses poumons, la ténacité de son vouloir. Des inconvénients, il n’y en a pas. Le soleil qui vous cuit la nuque, on l’aime, et on ne déteste point la pluie qui vous cingle, ni le vent qui vous heurte, car on se sent formidable, vainqueur des éléments, maître du monde.

Pascal, soulevé par des élans d’exalta-