Page:Leblanc - Voici des ailes, paru dans Gil Blas, 1897.djvu/34

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En vain Madeleine protestait. Il ne la laissait pas achever :

— Taisez-vous, taisez-vous… ne pensez pas à cela…

Comment y aurait-elle pensé ? Dans l’éveil de ses sens et dans l’élan de toute sa chair vers les fortes caresses, comment se fût-elle même rappelé ses malentendus avec Guillaume ? La présence de Pascal la troublait sans qu’elle pût s’en cacher. S’étant promise à lui, elle tressaillait au moindre de ses gestes, anxieuse à la fois et prête à l’accueillir. Et Pascal dut s’enfuir souvent, tellement il devinait son attente, sa prière éplorée et silencieuse.

L’heure approchait. Ils en avaient l’intuition affolante. Ils seraient l’un à l’autre. Où ? Quand ? ils ne savaient pas… Mais, en vérité, ils ne doutaient point que l’heure approchât.

Et ils allaient en toute hâte, comme s’ils eussent espéré que cette allure les conduirait plus vite au bonheur. Le désir multipliait leur énergie. Ils étaient indomptables. Et il accroissait aussi leur puissance d’émotion jusqu’à l’extase, jusqu’à les rendre incapables de séparer les unes des autres leurs sensations.

— Il n’y a plus rien en moi que de la vie, s’écriait Pascal, de la vie qui fermente, de la vie qui bouillonne comme de l’eau. Je me sens dans la vie qui m’entoure comme un bloc de vie qui passe, plus intense et plus vibrant. Tout se rapporte à cela. Le bruit égal de la chaîne, c’est le bruit d’un cœur qui bat, et le bruit discret des roues sur le sol, c’est le bruit du sang dans les veines.

Pour mieux s’unir, ils se plaisaient à rouler côte à côte, le bras de chacun appuyé à l’épaule de l’autre et la main presque autour de son cou. Il leur semblait alors respirer de la même poitrine et vivre d’une seule vie. Et il leur semblait aussi porter leur grand amour comme sur un socle triomphal.

Une fin d’après-midi, ils traversèrent tous quatre les rues de Rennes. Jugeant la ville d’un intérêt médiocre, ils choisirent, au-delà, une auberge que recommandait son jardin spacieux. Le repas s’effectua suivant une sorte de règle qui tendait à s’accentuer depuis quelques jours. On y mangea rapidement et on n’y parla guère. Ils agissaient comme deux couples étrangers. Et cela s’était établi de façon si progressive qu’ils n’en apercevaient point la bizarrerie.

Le soir on se coucha tôt. Or, au bout d’une heure, dans le silence de l’hôtel endormi, Guillaume se glissa le long des murs du corridor, où vacillait la lueur d’une lanterne. Par sa porte entre-bâillée Pascal le vit s’arrêter à l’extrémité du couloir. Une porte s’ouvrit, c’était celle de Régine. Il se rua, comme un fou. Mais, au passage une main le saisit. Des mots haletants furent échangés. Tout à coup, à son insu, il se trouva dans la chambre de Madeleine.

Elle lui dit sévèrement :

— Voilà bien des soirées que je veille ainsi… j’étais si sûre que vous les espionniez.

— Il est auprès d’elle, balbutia-t-il, elle est sa maîtresse.

— Eh bien quoi ? demanda Madeleine.

Il hésita un moment. L’incohérence de ses gestes et de ses regards trahissait un combat suprême. Elle vit ses poings crispés, les veines gonflées de ses tempes, et des fibres de sang qui rayaient ses yeux. Qu’allait-il dire ? Qu’allait-il faire ?