Page:Leblanc et Maricourt - Peau d’Âne et Don Quichotte, paru dans Le Gaulois, 1927.djvu/20

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Comme un guetteur du moyen âge, Pierre domine maintenant l’agreste panorama d’où montent en ondes harmonieuses et légères les mille bruits de la campagne. Pour ce petit sensitif, c’est un éblouissement.

— Dieu ! Violette, que c’est beau !

— Ah ! tu trouves ?

— Mais oui ! Oh ! raconte-moi tout ce qu’on voit là. Y a trop de choses, trop de belles choses !

En effet. Le donjon des Aubiers surplombait un de ces paysages mesurés et doux qui sont comme les plus jolis sourires de notre vieux sol.

— Tiens, dit Violette, en tendant sur le ciel son doigt rose. Là à gauche, c’est le bourg. Regarde donc la gare : Écoute ! Écoute ! Le train va passer. On l’entend déjà qui fait hou-hou. Et puis… Mais tu ne regardes pas par là, Pierrot !

— Si, si, répond mollement Pierre.

— Et puis près des belles maisons toutes neuves, c’est la raffinerie de sucre, puis l’usine de… enfin l’usine de je ne sais pas quoi, mais papa dit que c’est la richesse du pays. Même on y a un cousin qui y est ingénieur. Il a un fils qui est très gentil. C’est François. Tu verras. Mais Pierre, où es-tu donc ? Tu ne regardes rien.

— Oh ! si, je regarde à droite. C’est beaucoup plus beau que tes grandes cheminées et tes maisons toutes rouges.

Les enfants sont souvent des poètes qui meurent en devenant hommes. Artiste sans le savoir, Pierre rêvait en admirant la nature qui, de ce côté, lui prodiguait ses sourires un peu rudes et lui envoyait par bouffées des caresses sauvages.

« Par là » le ciel se regardait dans le miroir d’une large rivière, qui s’étirait mollement telle un reptile sans fin au milieu de l’émeraude des prairies, de l’or des blés et de la pourpre des sainfoins. Les eaux rieuses formaient comme une boucle dont les deux rubans, en s’éloignant, fluides et lactés sous les premières vapeurs du soir proche, enserraient tout un petit monde dans une sorte de presqu’île enchanteresse.

« Par là » montaient du sol comme pour mieux causer la nuit avec les étoiles, les cierges dorés des pins couronnés de vert, les troncs chenus des chênes torses, les fûts enfarinés des bouleaux, les mâts des peupliers frileux et tremblants sous la caresse des brises. C’était toute une forêt dont les senteurs embaumées devaient être grisantes… C’était toute une forêt, mais dans laquelle des mains invisibles s’étaient assurément taillé des domaines, car çà et là dans la plaie béante des verdures échancrées apparaissaient des toits mystérieux, des silhouettes de manoirs, de moulins et de chaumières…

Pierre ne se tenait pas d’aise. La Folle du logis dansait à nouveau la sarabande en son cerveau fragile.

Qui sait ? Ces demeures inconnues,