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dits ! Puis ils lancèrent peu à peu leurs quolibets.

— Hé là ! c’est-y ? fit le chef de la bande, le grand Julien, fils d’un contremaître de la raffinerie. En v’là des masques !

— C’est pas le mardi-gras, reprend un autre.

— Holà les gosses ! Allez-vous courir les foires ?

— Pour sûr, c’est des moricauds ou des bohèmes qui vont à la parade !

— Regardez donc la petite fille ! Prenez garde… elle va prendre feu ! La v’la qui roussit.

— On va leur ficher une chasse…

— Non, non… danser une ronde autour d’eux !

Les apostrophes s’entrecroisent, les cris s’élèvent et les rires fusent.

— À bas les masques ! À bas les masques !


Personne n’a reconnu la « petite châtelaine » qui, sans se troubler, rit sous cape… ou plutôt sous peau de mouton. Violette est, en effet, d’humeur joyeuse. Elle voit toujours les choses sous leur jour aimable ou amusant. Au contraire, Pierre, saisi de colère, serre les dents, s’apprête à brandir sa lance.

— Veux-tu bien t’arrêter, chuchote Violette. C’est pas des gars méchants… Tout de même, ajoute-t-elle un peu honteuse, faut peut-être mieux rentrer. Ils ne comprennent pas.

Pierre murmure, mais Violette l’entraîne.

En voyant les deux enfants qui tournent les talons, la bande se concerte, puis, gravement, les suit en procession burlesque. Et quelle fête pour les gamins du village ! En tête, le grand Julien joue de l’accordéon. Dans les fermes voisines, les chiens hurlent avec fureur. Tricotant des pattes, les poules, effarouchées, trottent tout droit sur la route comme des soldats d’avant-garde devant Peau d’Âne et Don Quichotte déconfits. Plus sages, des canards dandinant font coinc, coinc, d’un air narquois, et, plouf ! plouf ! dans les fossés qui bordent la route. Enfin, c’est un charivari invraisemblable jusqu’au moment où Violette ouvre avec dignité la porte du château de ses pères devant la troupe ébahie.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Pierre ! Petit Pierre ! Cette journée a été en vérité cruelle. En l’évoquant, le soir, la tête un peu chaude sur l’oreiller propice aux songes, vous avez eu le cœur gros. Vous pensiez entrer tout droit dans le royaume du bonheur promis par les fées, et vous avez rencontré la malice et l’ironie de vos semblables. Pierre ! Petit Pierre ! Je crois bien que vous avez un peu pleuré ?… Séchez vos larmes. Vous apprendrez peu à peu que la vie réserve des sourires aux enfants qui apprennent avec courage le métier d’hommes.



IV

Folette au bord de l’eau


L’horloge de l’église du bourg vient de laisser nonchalamment tomber dans l’air frissonnant les quatre coups sonores qui marquent l’heure du goûter.

Sans s’être donné le mot, les deux enfants se retrouvent comme la veille dans la cour du château des Aubiers. Point n’était nécessaire d’ailleurs de prendre rendez-vous. La solitude est l’austère ennemie de l’enfant comme de l’homme et Pierre et Violette sont si contents de se réunir depuis deux jours qu’ils vont ins-