Page:Leblanc et Maricourt - Peau d’Âne et Don Quichotte, paru dans Le Gaulois, 1927.djvu/51

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se-cour en robe de futaine, Caroline passe digne et affairée.

— Elle vient traire, murmure Violette avec respect.

Devant la porte fermée de l’étable, Jeannette attend, placide.

Caroline saisit le loquet qui se relève en un petit bruit rapide comme celui d’un oiseau qui claque du bec. C’est bien un profil d’oiseau d’ailleurs qu’il figure avec le petit clou brillant comme un œil par lequel il est fixé sur la porte délavée par les ans.

Les deux petits entrent dans le sanctuaire de Jeannette dont la queue vient de disparaître tel un cordon de sonnette dans l’embrasure de la porte. La vache se dirige avec complaisance vers le ratelier où, dans l’odorante botte de sainfoin, les fleurs montrent leur petit nez rose comme des fraises parfumées.

— Allons, Jeannette ! crie Caroline avec éclat, allons, en place !

Lentement, comme pour marquer la valeur du temps qui ne revient plus, Jeannette se remue maladroitement dans l’atmosphère chaude de l’étable.

Et la cérémonie commence sous l’œil attentif des deux enfants.

C’est toute une affaire. Caroline prend à côté du redoutable coupe-betterave (ce vilain instrument qui tranche les mains des enfants touche-à-tout) un trépied dont la forme bizarre cause au petit Pierre un rien d’appréhension. Puis, lorsqu’elle s’est assise dessus, sa « marmotte » menaçant le plafond de deux cornes diaboliques, d’une main agile elle s’empare des deux pis, lourds comme des outres pleines, qu’elle serrait avec ferveur.

Et tsin, et tsin, et tsin, le lait chaud gicle en mince filet dans un seau de fer blanc dont la résonnance bizarre amuse les deux petits de sa musique champêtre.

Curieux, un bélier vagabond apparaît sur le pas de la porte. Sa tête, sournoise comme celle d’un Belzébuth domestique en quête de sainfoin, s’agite avec convoitise.

Et tsin ! et tsin ! et tsin ! le lait chaud, moussu, baveux, monte toujours. Puis, par suite d’une opération appréciable, il s’épand dans les tasses ébréchées.

— En voulez-vous, Mam’selle Violette, et vous, le petit Parisien ? interroge Caroline de sa bonne voix rude.

— Oh oui ! firent les deux petits.

Alors Pierre en cet instant goûta avec volupté les joies très réalistes de la gourmandise. Tandis que, tête baissée, il levait en dessous vers Caroline des yeux pleins d’admiration, il lappa avec délices les gorgées chaudes qui mettaient un trait blanc et savoureux sur ses lèvres d’enfant.

Il était pleinement heureux.

À la joie de sa revanche de tout à l’heure, qui l’avait réhabilité aux yeux de François, s’ajoutait l’apaisement de la « vraie vie », de la vie rurale, dont il goûtait les charmes sains sans qu’il fût nécessaire d’y appeler la Folle du logis.

Aussi est-ce spontanément, avec la générosité d’une âme satisfaite, qu’il dit à François, quand celui-ci vint à son tour prendre sa part à ce festin du lait chaud :

— Monsieur François, je crois que c’est moi qui ai eu tort tout à l’heure.

François sourit.

— À la bonne heure ! fit Violette toute heureuse. Pierre, tu mérites encore une autre récompense, une récompense qui compte, tu sais !

— Laquelle ?

— Eh bien ! puisque tu aimes les