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— Oh ! oui je le sais depuis tout à l’heure, mais papa dit aussi que c’est un dolman.

— Oh ! Violette, un dolman c’est une tunique de hussard. Tu veux dire un dolmen !

— Ça n’a pas d’importance, fait Violette un peu pincée. C’est une pierre du temps des Druides.

— Oui, je sais. Même on-dit que les lutins et les farfadets dansaient autour… Peut-être vont-ils revenir ?

La peur est parfois « à retardement » ; jusqu’ici Violette avait conservé son courage mais la perspective d’un nouveau danger fait exploser l’émotion qu’elle avait refoulée jusque-là.

— Ah ! J’en ai assez ! s’écria-t-elle avec violence.

Et, instinctivement, sans raisonner, elle se sauve, elle se sauve à toute allure. Elle acquiert la prestesse d’un caillou lancé dans le vide. Au bout de quelques moments, Pierre ne voit plus au loin dans les bruyères qu’une toute petite chose qui dévale vite et vite. Deux semelles de souliers se lèvent alternativement dans une course folle derrière un tournoiement de jupes. C’est Violette qui descend la côte avec des ailes au talon.

Que faire, sinon la rejoindre ? Aussi bien, quelques minutes plus tard, les deux petits, tout essoufflés et tout rouges, se retrouvaient-ils assis dans la mousse, sous l’abri paternel d’un vieux chêne.



X

Barbe-Bleue


À cet âge, les émotions sont fortes, mais brèves. Les caresses de la brise, l’éloignement de la caverne maudite, l’apaisement de la forêt… tout cela, c’était bien fait pour mettre en déroute leur légitime angoisse de tout à l’heure. Très fiers de leurs aventures, Violette et Pierre causaient :

— Je croyais bien, disait Pierre, qu’il y avait des farfadets et des lutins, mais, tout de même, jusqu’à ce matin, je n’aurais pas osé l’affirmer.

— Tandis que maintenant, répondit Violette, c’est aussi sûr que deux et deux font quatre.

— Penses-tu qu’ils auraient pu nous manger ?

— C’est ce que je me demande. Ils sont bien petits.

— Oui. Mais moi je pense qu’ils étaient de mèche.

— De quoi ?

— De mèche ! Ça veut dire d’accord… Je crois donc qu’ils étaient d’accord avec les ogres ou les géants qui cognaient à la porte… Ils nous attiraient pour eux, tu comprends ?

— Mais oui, je comprends. Et alors, c’est les ogres qui nous auraient mangé.

— Certainement. Mais les nains auraient eu leur part de nos morceaux.

— Ah ! laquelle ?

Pierre réfléchit un moment.

— Nos yeux, affirma-t-il. J’ai lu dans les contes d’Andersen que les lutins en étaient très friands.

— C’est gai, fait Violette, en regardant à droite et à gauche… Pierre ? Crois-tu qu’il soit bien utile de rester longtemps dans la forêt ? Maria doit nous attendre pour le déjeuner.