Page:Leblanc et Maricourt - Peau d’Âne et Don Quichotte, paru dans Le Gaulois, 1927.djvu/7

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n’étaient certes pas superflus pour s’imposer à son estime, et qui sait ?… peut-être même pour combattre des ennemis.

Ainsi équipé, Pierre quitta sa mère. Sur la pointe des pieds, il monta au premier étage et, gravement, il se regarda dans un vieux miroir qui lui renvoyait son image apeurée par le silence de ces lieux morts. Sous le chapeau mou qu’une plume de héron décorait d’une grâce un peu ridicule, il se jugea très beau.

Et, maintenant, allait-il visiter la petite fille mystérieuse par le chemin de tout le monde ? Fi donc ! Le romanesque Pierre ne se chauffe point de ce bois ! Pour surprendre une princesse, ne faut-il pas soigner son entrée ?

Il ouvre une haute et vieille fenêtre, qui crie et qui grince, comme pour protester contre l’intrus. Le rempart qui relie les deux châteaux est devant lui, avec son chemin de ronde abandonné. Il faut sauter sur la muraille, car toute trace d’escalier a disparu… Hélas ! plus d’un mètre cinquante de hauteur… Le cœur du petit Pierre bat la chamade. Il a peur… Peur ? Oh ! le vilain mot que Pierre entend bourdonner à ses oreilles. Est-ce que mes héros des contes de fées ont peur ?

— Une, deux, trois !

Il ferme les yeux et saute.

Mais, qu’est-ce donc ? Pierre, un moment, se croit perdu, environné d’ennemis invisibles et piquants. Enfoui jusqu’à mi-corps dans la végétation hostile et gourmande des vieilles murailles, il vient de faire connaissance avec les forces de la nature. Il ignorait, rue Férou, que les vipérines aux jolies fleurs bleues, que les orties aux jolies fleurs blanches, que les houx aux jolies baies rouges se plaisaient à piquer astucieusement les jambes nues des petits garçons.

Il souffre un peu, il a presque envie de pleurer. Mais il se raidit et chemine, tout embroussaillé au milieu de l’éboulis des cailloux que les pariétaires aux âcres senteurs et les bouillons blancs cotonneux couvrent de leur poudreux manteau. Les plantes poussent si dru qu’il ne sait plus où son pied se pose sur le sol qui tremble et sur le faîte qui branle.

Et soudain il a l’impression que tout se dérobe au-dessous de lui. Le ciel disparaît. Des ténèbres l’engloutissent. Ses jambes sont meurtries. Il lui semble qu’une chute effroyable l’a jeté tout pantelant au fond d’un gouffre… Il murmure avec épouvante :

— Les oubliettes !

L’épouvante est de rigueur et la voix de Pierre l’exprime à merveille, mais en réalité il a gardé son sang-froid. Il sait bien qu’il est victime d’un de ces incidents où se retrempe l’âme d’un paladin. Il se redresse intrépide. Des oubliettes ? Fi donc ! Ce n’est là qu’une embûche vulgaire qui s’ouvre sous ses pas. Des oubliettes, des chauves-souris, des salamandres, des ossements de prisonniers, des trésors enfouis, ce sont là choses connues — les livres le disent — auxquelles on doit s’attendre au cours des grandes expéditions ! Une bonne rapière à la main, un regard qui perce l’ombre, l’habitude de tâter les murs qui suintent, et l’on finit toujours par repousser les attaques sournoises et par découvrir la fissure où l’on se glisse pour retrouver la lumière.