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KHIRÔN.

Et du fils de Pélée il a saisi la lyre.
Sous ses doigts surhumains les cordes ont frémi
Et s’emplissent d’un souffle en leur sein endormi,
Souffle immense, pareil aux plaintes magnanimes
De la mer murmurante aux sonores abîmes.
Tel, le faible instrument gémit sous ses grands doigts,
Et roule en chants divins pour la première fois !
Un Dieu du grand Aède élargit la poitrine ;
D’une ardente lueur son regard s’illumine…
Il va chanter, il chante ! Et l’Olympe charmé
S’abaisse de plaisir sur le mont enflammé !
Kybèle aux épis d’or, sereine, inépuisable,
Des grèves où les flots expirent sur le sable
Jusqu’aux âpres sommets où dorment les hivers,
D’allégresse a senti tressaillir ses flancs verts !
L’étalon hennissant de volupté palpite ;
De son nid tout sanglant l’aigle se précipite ;
Le lion étonné, battant ses flancs velus,
S’élance du repaire en bonds irrésolus ;
Et les timides cerfs et les biches agiles,
Les Dryades perçant les écorces fragiles,
Les Satires guetteurs des Nymphes au sein nu,
Tous se sentent poussés par un souffle inconnu ;
Et vers l’antre, où la lyre en chantant les rassemble,
Des plaines et des monts ils accourent ensemble !

Ainsi, divin Orphée, ô chanteur inspiré,
Tu déroules ton cceur sur un mode sacré.
Comme un écroulement de foudres rugissantes,