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KHIRÔN.

Ô grand vieillard, dit-il, dont le Destin sévère
D’un voile de tristesse obscurcit le déclin,
Je te quitte, ô mon père ! Et, comme un orphelin
Baigne, au départ, de pleurs des cendres précieuses,
Je t’offre le tribut de mes larmes pieuses.
Contemporain sacré des âges révolus,
Adieu, Centaure, adieu ! je ne te verrai plus…
Fils de Pélée, adieu ! puissent les Dieux permettre
Qu’un jour ton cœur atteigne aux vertus de ton maître :
Sois le plus généreux, le plus beau des mortels,
Le plus brave ; et des Dieux honore les autels.
Salut, divin asile, ô grotte hospitalière !
Salut, lyre docile, à ma main familière !
Dépouilles des lions qu’ici foula mon corps,
Montagnes, bois, vallons, tout pleins de mes accords,
Cieux propices, salut ! Ma tâche est terminée. —

Il dit. Et de Khirôn la langue est enchaînée ;
Il semble qu’un Dieu gronde en son sein agité ;
Des pleurs baignent sa face : — Ô mon fils regretté,
Divin Orphée, adieu ! Mon cœur suivra ta trace
Des rives de Pagase aux fleuves de la Thrace.
Je vois le noir Argô sur les flots furieux
S’élancer comme l’aigle à son but glorieux,
Et dans le sein des mers les blanches Kyanèes
Abaisser à ta voix leurs têtes mutinées.
Et Kolkhos est vaincue ! Et remontant aux lieux
Où luit l’Ourse glacée à la borne des cieux,
De contrée en contrée, Argô, qu’un Dieu seconde,