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POÈMES ANTIQUES.

J’ai parcouru les monts, les plaines, les cités,
Cherchant un homme, pur des signes détestés,
Qui lave de son sang ma faute involontaire
Et du ressentiment des Dieux sauve la terre.
Car Indra, que mes pleurs amers n’ont point touché,
Refusera l’eau vive au monde desséché,
Et nous verrons languir sous les feux de sa haine
Sur les sillons taris toute la race humaine.
Mais je n’ai point trouvé l’homme prédestiné.
Tes enfants sont nombreux : livre-moi ton aîné,
Et je te donnerai, Richi, te rendant grâces,
En échange et pour prix, cent mille vaches grasses. —

Le Brahmane lui dit : — Ô Roi, pour aucun prix,
Je ne te céderai le premier de mes fils.
Par Celui qui réside au sein des apparences
Et se meut dans le monde et les intelligences,
Dût la terre, semblable à la feuille des bois,
Palpiter dans la flamme et se tordre aux abois,
Radjah ! Je garderai le chef de ma famille.
Entre tous les vivants dont le monde fourmille,
Vaines formes d’un jour, mon premier-né m’est cher. —

Et la femme, sentant frémir toute sa chair,
Dit à son tour : — Ô Roi, par la rouge Déesse,
J’aime mon dernier fils avec trop de tendresse. —

Alors Çunacépa se leva sans pâlir :
— Je vois bien que le jour est venu de mourir.